Ne pas renoncer à la liberté et à la diversité d’opinions
ÉDITORIAL. Une vidéo satirique a déchaîné les passions pendant quelques heures sur les réseaux sociaux du «Temps». Les grilles de lecture s’affrontent

Une chronique vidéo de la comédienne Claude-Inga Barbey, diffusée lundi 15 mars sur le site du Temps, a soulevé un vent de fronde sur les réseaux sociaux. L’humoriste y incarne une psy névrosée qui reçoit dans son cabinet des personnages tout aussi mal en point. De canapé à fauteuil, dialogue entre deux individus caricaturaux, tous deux interprétés par la célèbre humoriste. Dans le cas présent, la psychiatre fait face à sa patiente revendiquant en langage épicène sa «non-binarité». Le propos est parodique, piquant et collant à l’actualité. Chacun peut en rire. Ou pas. Dans les semaines précédentes, Claude-Inga Barbey a croqué un représentant de l’armée, de la task force covid, une mère angoissée face à la réouverture des écoles, une enseignante complotiste, un politicien genevois candidat à sa réélection, entre autres. Personne n’est épargné, la causticité est la règle de ce mode d’expression.
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Cette vidéo a déchaîné les passions pendant quelques heures sur les réseaux sociaux du Temps. Le phénomène est intéressant à observer. Une vague de commentaires s’abat sur l’émetteur et l’artiste, beaucoup de messages d’indignation, mais aussi une écume d’insultes réduisant au silence tout intervenant contradictoire. Certains membres de collectifs LGBTQIA, quelques individus sans lien avec cette communauté, des militants, des anonymes. Le relais par quelques comptes étrangers crée un effet de levier puissant. Dans le sillage de cette vague de protestation et d’appels à la censure, une vingtaine d’activistes se sont présentés à la rédaction pour lire une lettre de revendications signée par plusieurs collectifs et demander le retrait de cette vidéo jugée transphobe.
Cette lecture du sketch en est une. D’autres points de vue existent et se sont de nouveau exprimés une fois la vague passée. Commentaires applaudissant plus fort encore les qualités de l’humoriste.
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Comment rire?
Personne au Temps, et Claude-Inga Barbey non plus, ne songe à nier les souffrances de tous les individus, dans notre société, qui s’interrogent sur leur identité et se battent contre des carcans. Mais la question posée ici est autre: a-t-on encore le droit de rire des changements sociétaux qui nous entourent? Peut-on exercer l’ironie ou doit-on désormais interdire tout apport caustique et dérangeant sur certains thèmes? Serait-il convenable que la satire embrasse tous les sujets et les acteurs de nos débats de société, sauf les personnes en recherche d’identité? A ces questions, notre réponse est déterminée: nous réaffirmons le droit fondamental à la liberté d’expression, fondateur de notre démocratie, et ses corollaires, la liberté de la presse et le droit à l’humour. Chacun d’entre nous est libre de ses pensées et les humoristes sont libres de les exprimer, dans le cadre de la loi, qui est ici parfaitement respectée. Et Le Temps est précisément là pour permettre ces échanges et l’exercice de ces droits.
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Qu’il n’y ait pas de malentendu: nous prenons très au sérieux la responsabilité associée à cette liberté que nous chérissons. Le Temps poursuit et poursuivra son travail de média ouvert, curieux, critique et attaché à l’honnêteté intellectuelle. Il défend les institutions démocratiques, les droits et libertés de l’individu, veille à préserver la paix civique et la justice sociale sans craindre de stimuler le débat d’opinions. Il donne la parole de manière large, ouverte, diversifiée. Il fait écho au sort des minorités. Il tend son micro, récolte des points de vue, nombreux, variés, contradictoires, et raconte la société d’aujourd’hui et de demain. Comprendre ce monde de plus en plus complexe exige de multiplier les points de vue, de considérer ceux qui nous dérangent, d’avoir quelquefois le courage de parler contre soi. Dans cet exercice, l’humour a toute sa place et constitue un miroir des fragilités actuelles et des lignes de rupture. Nous pouvons certes nous tromper, et nous nous tromperons parfois sans doute, mais nous ne renoncerons pas à l’exercice de la liberté et de la diversité.
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