Mi-avril, les médias américains relataient le cas d’un jeune homme qui admettait avoir tenté d’embaucher un tueur à gages pour assassiner sa mère, et plaidait ainsi coupable dans le cadre d’une négociation pénale (plea bargain). La peine négociée s’élevait à 5 ans de prison. Selon l’avocat de la défense, la sentence aurait probablement été deux fois plus sévère si son client avait été reconnu coupable lors d’un jugement. Quant à la mère de l’accusé, elle estimait qu’un procès aurait été une perte de temps et d’argent1.

Vue de Suisse, cette situation peut choquer. La possibilité pour un accusé de négocier sa condamnation ne nous est guère familière. De plus, la réduction de peine consentie à l’accusé peut paraître injustement importante. Enfin, s’agissant d’une affaire grave, l’absence de procès public donne un caractère confidentiel inhabituel à l’issue de la cause. Décidément, les mœurs judiciaires sont bien différentes de l’autre côté de l’Atlantique. Vraiment? Non.

Si les Etats-Unis pratiquent de longue date et à grande échelle la négociation pénale, ou plea bargain, la Suisse a récemment donné un cadre légal à cette pratique. Le Code de procédure pénale suisse (CPP), en vigueur depuis le 1er janvier 2011, permet désormais à la personne accusée d’une infraction, à certaines conditions, de négocier sa condamnation (articles 358 à 362 CPP). Parmi ces conditions, on relèvera que la demande doit émaner du prévenu qui a reconnu les faits, que la peine requise ne peut être une peine privative de liberté supérieure à 5 ans et que ce procédé est exclu s’agissant d’infractions commises par des mineurs. On précisera également que le procureur est libre d’accepter ou de refuser d’entrer en matière. Cette nouveauté, appelée procédure simplifiée, permet aux parties de se mettre d’accord sur la peine qui sera infligée au prévenu ainsi que sur le règlement des prétentions civiles du plaignant. L’acte d’accusation accepté par toutes les parties est transmis au tribunal, qui se charge uniquement de vérifier que le prévenu reconnaît bien les faits et que sa déposition concorde avec le dossier, mais ne procède à aucune administration de preuve. Si les conditions légales sont réunies, il assimile l’acte d’accusation à un jugement.

Que penser de la négociation pénale? Est-elle une solution avantageuse pour toutes les parties? Ou un procédé choquant permettant à des coupables de s’en tirer à bon compte? Pourquoi le législateur suisse a-t-il décidé d’introduire une telle procédure?

C’est avant tout par souci de pragmatisme que cette procédure a été adoptée. En effet, malgré l’absence de dispositions légales y relatives dans l’ancienne loi de procédure pénale fédérale et dans les anciens codes de procédure cantonaux (à trois exceptions près), la négociation pénale se pratiquait déjà de manière informelle avant l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale suisse. Aussi le législateur a-t-il estimé qu’il valait mieux éviter qu’elle n’intervienne hors de toute base légale2. Selon lui, en raison de la criminalité économique grandissante, il était à craindre que les autorités de poursuites pénales, de plus en plus surchargées­ par des affaires com­plexes exigeant d’abondants moyens de preuves, ne passent de plus en plus de conventions de ce type, même en l’absence de base légale. La justice négociée présente en effet l’avantage de simplifier la poursuite et le jugement d’infractions et permet d’accélérer l’issue des procès. On évite également les coûts liés aux enquêtes de grande envergure. La tâche du procureur se trouve facilitée par les aveux du prévenu. Ce dernier est rapidement fixé sur son sort. La partie civile obtient un prompt règlement de ses prétentions.

Ce procédé, aussi séduisant soit-il, n’est toutefois pas sans poser problème. Il va à l’encontre de principes fondamentaux du droit de procédure pénale suisse. Ainsi, il est généralement admis que l’Etat doit poursuivre tous les délinquants et rechercher tous les faits pertinents pour leur jugement. La procédure simplifiée constitue une exception de taille. Elle porte également atteinte à certains droits fondamentaux du prévenu, tels le droit à ce que la décision le concernant soit motivée de manière circonstanciée et le droit de ne pas déposer contre lui-même. La négociation pénale pourrait permettre au coupable d’échapper à la condamnation en évitant que les autorités n’aient connaissance d’autres actes répréhensibles. En effet, le procédé implique que, compte tenu des aveux de la personne soupçonnée, un terme (peut-être prématuré) est mis à l’enquête. Il n’est donc pas exclu qu’un coupable ayant admis certains faits, ne représentant que la pointe de l’iceberg, ne soit condamné que pour ces faits-là, les autres infractions demeurant impunies. A l’inverse, la pratique de la négociation pénale pourrait amener un innocent à plaider coupable, que ce soit pour protéger un tiers ou de peur d’être condamné à une sanction plus sévère que celle proposée par le procureur dans le contexte d’un arrangement. La tendance selon laquelle la sévérité de la peine négociée est inversement proportionnelle à la solidité du dossier d’accusation a déjà été observée, et critiquée, à l’étranger3. Plus grand serait le risque d’acquittement, plus clémente serait la peine proposée par le procureur. Dans ces circonstances, même un innocent pourrait être tenté de passer aux aveux

En définitive, si cette procédure permettra certainement d’aboutir à des solutions pragmatiques satisfaisantes, il s’agira de veiller à ce qu’elle ne soit pas appliquée au détriment de la justice.

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