Dans la tête de

Nina, qui a vécu l’épreuve d’un avortement

Je ne sais pas par où commencer, tellement je suis vénère. Plus que ça, blessée, humiliée, endeuillée une nouvelle fois. J’ai 18 ans. J’ai avorté il y a six mois. Pas de bol, c’était seulement la cinquième fois que je faisais l’amour. On s’aime avec mon mec. On veut des enfants, quand on sera grands. Lui a décidé de devenir architecte. Moi je ne sais pas trop encore, tout m’intéresse, je veux aller à l’université, sûrement en lettres. C’est dur d’avorter quand on aime son mec. C’est dur d’avorter tout court. Même quand on a de bonnes raisons. Je ne le souhaite pas à ma pire ennemie.

Au début on a joué à se dire qu’on le gardait. On s’est mis à rêver à notre enfant, à comment il serait, à qui il ressemblerait: il aurait mes oreilles décollées mais les cheveux de son père, donc ce ne serait pas grave, pour les oreilles, parce que les cheveux les recouvriraient très vite. On a imaginé tout ça en riant, en ressentant la tendresse de futurs parents. J’ai caressé mon ventre souvent, j’ai pensé à la petite vie qui commençait là-dedans, je lui ai parlé, dit combien je l’aimais déjà. Et puis je me suis tue. Il ne fallait pas qu’on se fasse trop de films, mon fœtus et moi. Il ne fallait pas que je pense à lui comme à un futur enfant, mais comme à un simple amas de cellules. Pour pouvoir faire cette interruption de grossesse. C’est dur de mettre «volontaire» au milieu. Je sais que j’ai bien fait, ce n’était pas le moment, je n’aurais pas pu être la mère que je voulais, à 18 ans. Ni la femme que je veux devenir. Mais c’est la pire décision que j’ai eue à prendre jusqu’à maintenant. Ma décision. Mon corps. Ma grossesse interrompue. Ce n’est pas une affaire privée pour autant. C’est une affaire de société. Je n’en reviens pas de devoir expliquer ça. Ma mère me dit que le problème avec les victoires des femmes, c’est qu’elles ne sont jamais vraiment acquises. Il faut toujours se battre, toujours veiller. Ma mère, elle dit ça calmement, mais moi j’ai envie de hurler sur vos gueules d’initiants. Mon enfant, si j’avais accepté qu’il reste, il aurait certainement coûté plus cher à la société qu’un avortement.

Vous dites que votre initiative permettrait de sauver des vies. D’abord quelles vies? Des vies pourries comme il y en a déjà plein. Des vies mal parties. Ensuite c’est faux: le taux d’avortement est resté stable en Suisse, après l’entrée en vigueur de la loi sur l’IVG. Parce que même quand l’Etat est derrière nous, c’est un déchirement d’avorter. Si vous en faites une affaire privée, vous savez très bien que des femmes en seront réduites à s’enfoncer des aiguilles à tricoter entre les jambes, ou à s’injecter des saloperies dans l’utérus. Un avortement, ça coûte entre 1550 et 2000 francs. L’état n’économiserait que 8 millions de francs. Des cacahuètes pour lui. Une fortune pour certaines femmes. Faut arrêter de revenir sur nos acquis. On fait partie du même monde, vous, moi ou mon voisin fumeur à qui on rembourse son cancer. Est-ce que je lance des initiatives contre les évangéliques, les chrétiens conservateurs ou les cons, moi? Il se serait appelé Louis. Chiara, si ça avait été une fille.

Ce n’est pas uneaffaire privée, c’estune affaire de société

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.