«No Billag»: une initiative dangereuse pour la démocratie
EDITORIAL
Si la Confédération cesse de soutenir l’audiovisuel public, le bien commun n’en sera pas mieux servi

Une fois de plus, la Suisse se retrouve dans la délicate situation de se préparer à un vote qui peut bouleverser ses fondamentaux, sans que personne ne puisse sérieusement déterminer quel avantage en retirer. L’initiative «No Billag» – née d’une discussion de bar, selon ses initiants – a tout de l’OVNI politique. Elle peut pourtant l’emporter en agrégeant autour de son objet toute une série de mécontents.
L'opposition s'élargit
De ceux qui ne veulent pas payer pour des raisons économiques à ceux qui n’aiment pas les journalistes en passant par des ultra-libéraux jouant aux apprentis sorciers, ils sont nombreux à vouloir faire exploser le paysage médiatique actuel. Sans compter une nouvelle génération pour laquelle la consommation d’information se concilie mal avec une offre payante généraliste. Au final, la SSR se retrouve face à un front d’opposants de plus en plus large.
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Pourtant, si demain la Confédération ne pouvait plus soutenir un secteur audiovisuel public, le bien commun ne serait pas mieux servi. Un pays aussi compliqué qu’une mécanique de haute précision aurait du mal à se passer d’un dispositif central dans la représentation qu’il se fait de lui-même.
Réduction de la diversité
Les forces du marché ne permettront pas de garder un secteur audiovisuel suffisamment diversifié, prenant en compte toute la complexité d’une collectivité de la taille d’une métropole mondiale, mais écartelée entre quatre langues, 26 cantons et presque autant de mentalités. La culture, les manifestations sportives et des pans entiers de la vie sociale perdraient un moyen d’expression qui ne sera pas remplacé. Surtout, faire du journalisme de qualité coûte très cher, la fragilité des médias privés en atteste, et la qualité de la production de la SSR dans ce domaine manquera au débat.
Alors que la globalisation semble faire une pause et que les consommateurs dans tous les domaines privilégient des offres locales, l’initiative «No Billag» emprunte le chemin inverse. Elle va favoriser les radios et TV étrangères ainsi que tous les Google et Facebook du monde numérique. Du côté éditorial, c’est assurément prendre le risque de réduire la couverture rédactionnelle et la diversité des opinions.
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Dans un pays où l’on vote quatre fois par an, ce serait assimilable à un assèchement du débat démocratique. Alors que propagande et fausses nouvelles pullulent, c’est irresponsable. Du côté économique, dans un monde où les données sont le nouveau pétrole, appauvrir sa place médiatique équivaut à brader sa souveraineté.
«Choc inédit»
Qu’est-ce que le service public dans le domaine de l’information à l’ère numérique? La réponse à cette interrogation passe par la définition du périmètre d’intervention assigné à l’Etat. Mais elle ne viendra pas de l’initiative «No Billag», qui pose comme préalable l’idée d’un arrêt brutal du financement par la Confédération. Dans un pays aussi pragmatique et mesuré que la Suisse, l’adoption d’une telle initiative serait un choc inédit. La preuve que le populisme peut mettre en danger la cohésion nationale par les urnes.
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