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OPINION. Si nous voulons éviter toute forme de restrictions discriminatoires à l’encontre d’une communauté, comme à l’encontre du libre choix des femmes de se déterminer sur leur tenue vestimentaire, il ne convient pas d’accepter la nouvelle loi sur la laïcité à Genève, écrit le directeur du Centre islamique de Genève, Hani Ramadan

Le 10 février, les Genevois votent sur un projet de loi sur la laïcité qui provoque un vif débat. Nous proposons deux opinions opposées à ce sujet.
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«Au nom de Dieu Tout-Puissant», telle est l’expression qui figure, non pas en introduction d’un chapitre sur la sharia, mais dans le préambule de notre Constitution suisse! La Suisse, dans son ensemble, n’est pas réductible à la laïcité qui sévit à Genève et à Neuchâtel, tout comme l’islam ne peut être ramené à une conception de vie strictement laïque. Il reste que, en dehors des questions qui relèvent du dialogue de civilisations, le réalisme nous impose de répondre à cette question: quelle laïcité voulons-nous à Genève?
En novembre 2014, le Rapport du groupe de travail sur la laïcité rendait, à l’attention du Conseil d’Etat, des observations intéressantes, qui mettaient en évidence que «la «laïcité à la française» est souvent perçue comme une laïcité «de combat», tout en préconisant que dans notre canton, «une laïcité «à la genevoise» est, principalement, une laïcité «d’apaisement», de «reconnaissance» et de «dialogue». Voilà qui était très bien vu. S’ensuivit la nouvelle loi sur la laïcité (LLE) proposée le 26 avril 2018 par le Grand Conseil. Là encore, le texte comprend des éléments positifs: «La neutralité religieuse de l’Etat interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l’absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d’appartenance religieuse ou non» (art. 3-2).
Islamophobie diffuse
Cependant, ce traitement égal ne devrait-il pas signifier que chacun demeure libre d’occuper l’espace public selon ses convictions? Or, les alinéas qui suivent visent clairement à réduire cette liberté fondamentale, au nom d’une neutralité que l’on veut imposer aux individus en remettant en cause leurs convictions intimes et personnelles, quand en réalité, cette neutralité du fonctionnaire est exigible au niveau de son action, pas de son apparence. Il y a là une intrusion dans la sphère protégée des libertés individuelles et une confusion que favorise actuellement une islamophobie diffuse. Trois alinéas suivent qui visent ainsi à interdire les signes extérieurs signalant une appartenance religieuse non seulement aux fonctionnaires de l’Etat, mais aussi aux membres élus du Grand Conseil et des Conseils municipaux!
La nouvelle loi sur la laïcité aurait pour conséquence de favoriser l’enfermement des femmes pratiquantes chez elles
Par une lettre transmise à la Commission des droits de l’homme du Grand Conseil le 25 mai 2016, l’Union des organisations musulmanes de Genève (UOMG) avait réagi au Rapport du groupe de travail sur la laïcité, en s’étonnant de l’évidente contradiction qui consiste d’une part à prétendre «protéger la liberté de conscience et de croyance», et d’autre part à limiter la pratique religieuse des musulmanes: «Les femmes sont les premières victimes de ces restrictions, qui ne favorisent pas leur émancipation sociale. La société se prive d’une élite instruite et diplômée des universités suisses et d’ailleurs. A l’époque où l’on parle de l’émancipation des femmes, les musulmanes pratiquantes rencontrent des obstacles pour travailler et avoir un rôle social actif dans la société.» Or, il est clair que la nouvelle loi sur la laïcité aurait pour conséquence de favoriser l’enfermement des femmes pratiquantes chez elles.
Laïcité inclusive
En résumé et pour conclure, il est évident que si nous voulons éviter toute forme de restrictions discriminatoires à l’encontre d’une communauté, comme à l’encontre du libre choix des femmes de se déterminer sur leur tenue vestimentaire, il ne convient pas d’accepter cette nouvelle loi avec l’ensemble de ses composantes. Il y a quelques années, la Suisse a voté majoritairement en faveur d’une mesure clairement injuste à l’encontre des musulmans: l’interdiction de la construction des minarets. Certains cantons, dont celui de Genève, avaient cependant pris position contre cette décision, montrant que beaucoup ont compris le piège qui leur était tendu: celui proposé en Europe par les partis d’extrême droite, qui voient dans les musulmans un bouc émissaire idéal pour récolter des voix dans un climat de peur.
Optons donc pour une laïcité inclusive apaisée, où le juif, le chrétien, le musulman, où tout homme de conviction religieuse ou libre penseur agissent en respectant les valeurs républicaines qui leur sont communes, et s’engagent sereinement dans un dialogue enrichissant sur tout ce qui fait leurs différences, lesquelles ne seront pas ressenties, parce que ouvertement exprimées, comme une menace. Cela devrait être possible à Genève.
Hani Ramadan est directeur du Centre Islamique de Genève.
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