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Avec Obama, l’Amérique est encore capable de se réformer

Gregg Robins, chanteur et compositeur américain établi à Genève, juge qu’Obama n’a pas failli à sa parole. A ses yeux, il a su affronter la tempête financière et une farouche opposition

A la veille de l’élection présidentielle américaine de novembre 2008, j’ai écrit une chanson intitulée «Morning in America» (myspace.com/greggrobins). J’anticipais la suite des événements: un candidat extraordinaire, Barack Obama, allait rafler la mise et se voir propulsé à la présidence grâce au soutien d’une vaste coalition d’Américains. Quand j’écrivais «c’est le matin en Amérique/un nouveau jour qui commence», j’y croyais réellement, comme des millions de mes compatriotes. Un nouveau jour signifiait le début de l’ère «post-partisane» et une attention nouvelle aux défis cruciaux pour l’avenir de l’Amérique: la santé, l’énergie et l’éducation, pour ne nommer que ceux-là. Je me souviens avec nostalgie du jour où, bravant le froid avec des millions de personnes pour assister à l’investiture, j’ai ressenti une immense fierté d’être Américain, et un vibrant espoir pour le futur.

Un an est passé; il est trop tôt pour juger la présidence d’Obama, mais il est clair que l’agenda hardi avec lequel il est entré à la Maison-Blanche a été édulcoré et remodelé pour s’adapter aux réalités politiques du moment. Il y a beaucoup de raisons à cela, même si l’actuelle crise économique en est la cause profonde.

Regardons les choses en face: c’est dur de faire changer les choses, et c’est un défi extraordinaire que d’amener du changement lorsque des millions d’Américains ont peur de ne pas arriver à subvenir aux besoins de leurs familles. De plus, les républicains ont été, pour être gentil, obstructionnistes ou, pour l’être moins, destructeurs, en s’opposant pratiquement à tout ce qu’Obama et la majorité démocrate ont tenté de mettre en œuvre.

Ajoutez les énormes exigences monétaires des banques et leur arrogance sur la question des bonus, creusant encore davantage le fossé entre Wall Street et le reste du pays, et vous récoltez la colère d’un électorat dont une personne sur dix est au chômage.

Le président Obama a axé sa politique sur l’unification et la construction d’un consensus bipartisan. L’engagement qu’il a pris pour l’édifier au milieu d’une furieuse contestation est admirable, quoiqu’il a peut-être été trop longtemps accommodant envers un parti d’opposition qui n’a aucune envie de travailler avec lui.

Ce qui est plus surprenant, c’est qu’il a reçu un soutien très imparfait de son propre parti. Il en a tiré les leçons, ainsi qu’en témoigne son discours sur l’état de l’Union. Il y a mis au jour les mauvais comportements et les défauts du système actuel, adressant des critiques aux deux côtés. Alors que les élections cruciales de mi-mandat approchent, le président Obama et le Parti démocrate échafaudent leurs plans pour le mois de novembre afin de protéger leur majorité et faire en sorte de poursuivre l’agenda d’Obama. Les coalitions sont fragiles, et le président a été confronté à des choix difficiles pour garder les indépendants dans son camp tout en continuant à satisfaire ceux qui sont au cœur de son propre parti.

Et pourtant, comme on oublie vite les choses! On oublie qu’à la veille de son entrée en fonctions, Obama a affronté une crise financière d’une incommensurable proportion. La nécessité d’un renflouement massif des banques était perçue comme inévitable si l’on voulait éviter une catastrophe sans nom. On oublie que les Etats-Unis étaient isolés sur la scène internationale, considérés comme arrogants, ce qui a sapé leur position de leader. On oublie à quel point le pays a vu le fossé se creuser chaque jour entre possédants et démunis. On oublie le contrecoup de la guerre en Irak. Et on oublie le manque de transparence et le mépris des lois qui avaient cours à Washington.

En même temps que nous oublions, nous mesurons le président à l’aune d’attentes complètement irréalistes. Je me souviens avoir dit à des amis, pendant l’élection de 2008, que je ne m’inquiétais pas de savoir si Obama allait gagner, mais du fait que quoi qu’il accomplirait, il ne serait jamais à la hauteur des attentes qu’il susciterait à son arrivée au bureau ovale. Avec Obama nous voyons clairement les limites de la présidence autant que ses propres limites humaines.

Obama a déclaré qu’il préférerait être le «bon président d’un mandat» que le «médiocre président de deux mandats». Il a les moyens d’être un bon président pendant huit ans et de faire des changements qui peuvent améliorer l’avenir des Etats-Unis. Il a mené l’Amérique alors qu’elle manquait de s’effondrer financièrement. Il lui a regagné sa place et l’estime du monde. Il a initié le processus de retrait de l’Irak. Il l’a amenée tout près d’une véritable réforme de la santé pour la première fois depuis des décennies. Ce cours des choses doit continuer. Il serait tragique que cette réforme ne survive pas à l’actuel climat politique, laissant sans couverture médicale des dizaines de millions d’Américains.

Dans son discours sur l’état de l’Union, Obama a averti que l’opportunisme politique de certains «peut être une politique payante à court terme, mais ce n’est pas faire preuve de leadership». Bien qu’il ait sans doute à perfectionner son modèle de nation post-partisane, il doit avant tout diriger l’Amérique et la guider vers le changement, tâche qui lui a été confiée par un mandat présidentiel d’au moins quatre ans.

Pour le dire avec ses mots à lui: «Je sais qu’il y a beaucoup d’Américains qui ne sont plus sûrs de croire que nous pouvons apporter le changement, ou qui doutent que je puisse le faire naître. Mais souvenez-vous de ceci: jamais je n’ai suggéré que le changement serait facile ni que je pourrais le réaliser tout seul.»

Je crois encore que c’est le matin en Amérique. J’espère que l’électorat fera entendre ses doléances, comme il est tenu de le faire en démocratie, tout en soutenant le président dans ses efforts pour apporter à l’Amérique les changements dont elle a désespérément besoin.

Traduction: Emmanuel Gehrig