Les opposants à la technologie des organismes génétiquement modifiés (OGM) ont trop souvent tendance à faire un amalgame entre les problèmes liés à certains OGM, les pratiques agricoles ou le contrôle des semences par les multinationales. Une analyse d’exemples précis indique que les OGM peuvent contribuer à une agriculture durable.

«Les OGM ne sont nullement la solution», affirme Isabelle Chevalley dans Le Temps du 17 juin. La présidente d’Ecologie libérale dresse un réquisitoire contre les OGM en s’appuyant sur l’exemple des plantes résistantes à l’herbicide glyphosate. La large utilisation de ces OGM dans l’agriculture a conduit à l’apparition de «mauvaises herbes» également résistantes au glyphosate qui contaminent les cultures. Il est important de réaliser que les problématiques associées aux plantes agricoles résistantes aux herbicides ne sont pas le fruit de la technologie OGM: en effet, plusieurs variétés de plantes agricoles résistantes à certains herbicides autres que le glyphosate, ont été développées au cours des dernières années en utilisant les techniques classiques de la sélection artificielle.

Il est donc essentiel de distinguer les outils (OGM ou sélection classique) des buts visés. Le phénomène de résistance au glyphosate n’est donc pas spécifique aux OGM, il était prévisible et résulte de mutations spontanées sélectionnées en réponse à des doses inadaptées d’herbicide, similaire au cas des bactéries qui développent des résistances aux antibiotiques. Une pratique de rotation des cultures et de diversification des herbicides utilisés aurait certainement pu éviter les problèmes actuels. Il faut néanmoins rappeler que le glyphosate est un herbicide biodégradable et moins toxique que beaucoup d’autres herbicides. Son utilisation a permis pendant de nombreuses années de réduire considérablement l’érosion des sols, en raison de nouvelles pratiques de culture sans labours, et d’économiser du carburant car les paysans interviennent beaucoup moins fréquemment sur les champs (R.F. Service, Science, 25.05.2007).

Il est facile de diaboliser une technologie en faisant l’amalgame entre un exemple précis d’OGM qui pose certains problèmes et de conclure que cette technologie n’est pas une solution pour l’agriculture, assimilant toute une technologie aux pratiques des sociétés agroalimentaires qui ont développé certains OGM. Cela revient quasiment au même que de conclure à l’inutilité des médicaments, sous prétexte que certains ont des effets secondaires indésirables et qu’ils sont produits par des multinationales pharmaceutiques qui agissent de manière critiquable.

Il y a cependant des centaines de chercheurs indépendants qui travaillent dans des organisations gouvernementales (universités, stations de recherche) et qui s’efforcent depuis de nombreuses années de développer des OGM qui soient utiles pour l’agriculture et qui répondent à des besoins précis de la population. Pour citer quelques exemples, dans lesquels la Suisse joue un rôle important, le professeur Ingo Potrykus se bat depuis plus d’une décennie pour que les pays en voie de développement puissent cultiver librement du riz transgénique qui accumule de la vitamine A. Ces plantes ont été créées à l’EPFZ afin de combler des carences alimentaires qui causent la mort de millions de femmes et d’enfants dans le monde. Si le développement d’OGM coûte si cher, c’est en grande partie à cause des nombreuses barrières légales et administratives qui rendent la culture des OGM bien plus difficile que celle des variétés non OGM. De ce fait, le développement d’OGM utiles à l’agriculture est actuellement presque hors de portée des organisations publiques, telles que les stations de recherche agricole. Un autre groupe de recherche de l’EPFZ développe des plantes de manioc résistantes aux virus. Le manioc est une source essentielle d’alimentation en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie, et les infections virales croissantes diminuent considérablement son rendement. En collaborant avec des institutions internationales, les chercheurs de Zurich espèrent pouvoir transférer la technologie des OGM dans les régions qui cultivent le manioc afin de permettre aux agriculteurs de produire des plantes résistantes aux virus. Le manioc se multipliant par bouturage, il n’y a pas de risque que les semences OGM deviennent le monopole d’une société agroalimentaire et chaque paysan pourrait replanter ces OGM chaque saison. Des travaux effectués par une équipe de l’Université de Neuchâtel ont montré qu’il est possible de restaurer un mécanisme de défense contre un insecte ravageur en réintroduisant dans le maïs un gène qui avait été perdu lors du processus de domestication par nos ancêtres (Degenhardt et al., PNAS, 11.08.2009). De nombreuses variétés de maïs cultivées actuellement aux Etats-Unis nécessitent des tonnes d’insecticides pour contrôler cet insecte et l’introduction de ce gène dans chaque variété pourrait résoudre ce problème. S’il fallait réintroduire ce gène dans le maïs par croisement et sélection, il faudrait des années pour arriver au même but. Finalement, la culture de la papaye à Hawaï a failli complètement disparaître au début des années 1990 suite à l’apparition d’un virus extrêmement agressif. A la même époque, un chercheur de l’USDA avait développé des plantes résistantes au virus et les testait en champ sur l’île d’Hawaï. Ces plantes transgéniques furent rapidement acceptées et plantées par les cultivateurs et permirent d’éviter un désastre (D. Gonsalves, AgBioForum, 2004). Par la suite, la résistance au virus fut introduite dans différentes variétés pour permettre de préserver la biodiversité des papayes cultivées.

L’un des défis de l’agriculture n’est pas tant d’augmenter le rendement d’une espèce cultivée, processus qui peut s’avérer difficile techniquement, mais plutôt de limiter les pertes dues aux maladies et d’améliorer la qualité de la plante, tout en respectant l’environnement. Les exemples ci-dessus montrent que les OGM ont leur place parmi la panoplie d’outils à disposition des chercheurs et des agriculteurs. En conclusion, nous estimons qu’il est crucial de discuter de chaque projet d’OGM au cas par cas, d’en évaluer les avantages et les inconvénients en se fondant sur des expertises scientifiques indépendantes, et de ne surtout pas rejeter la technologie des OGM en bloc alors qu’elle peut contribuer à fournir des solutions pour garantir une alimentation durable et saine pour notre avenir.

Signataire: Dr. Philippe Reymond, Prof. Christian Fankhauser, Prof. Niko Geldner, Prof. Yves Poirier, département de biologie moléculaire végétale, Université de Lausanne1.

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