Au-delà des enjeux politiciens qui entourent les débats électoraux et des querelles ringardes entre la gauche et la droite, il est important que la Suisse, notamment à travers son parlement fraîchement élu, se fixe un cap pour les années à venir et vise l’ouverture plutôt que le cloisonnement. La peur alimentée par le flux de réfugiés et les récents actes terroristes donne de l’eau au moulin de ceux qui défendent le cloisonnement: il faudrait extraire ce qui est mauvais de notre vertueux pays et entourer celui-ci d’une ceinture de sécurité pour empêcher toute entrée intempestive. Certes, on ne saurait ignorer le désarroi et l’émotion provoqués par les actes terroristes. Mais il s’agit de garder son sang-froid tant dans le domaine de la sécurité intérieure que dans celui de la politique étrangère.

Renforcer le contrôle aux frontières et, surtout, les moyens d’investigation permettant de déceler les prémices d’actes terroristes sont, notamment, des mesures aujourd’hui en discussion dans notre pays, comme d’ailleurs dans la plupart des pays européens. On ne saurait contester la légitimité de telles mesures mais il reste important d’en garder le contrôle politique. N’oublions pas les détentions secrètes et la torture «justifiées» par la «War on Terror» des années Bush, qui n’ont pas tari, mais au contraire alimenté les sources du terrorisme. La lutte, indispensable, contre celui-ci ne saurait servir de prétexte à des dérives qui remettent fondamentalement en cause l’acquis des droits de l’homme: il s’agit sans naïveté mais avec rigueur de rechercher un juste équilibre entre la préservation de ceux-ci et les impératifs de sécurité. Un accent accru, enfin, doit être mis sur l’intégration, en évitant aussi bien la stigmatisation que la création de véritables ghettos, tels ceux qui se sont développés dans de nombreux pays européens.

Se méfier de la fièvre nationaliste

Outre les problèmes de sécurité intérieure, il est essentiel ensuite de ne pas se laisser gagner par la fièvre nationaliste qui contamine l’Europe et de ne pas chercher des solutions dictées par notre intérêt à court terme sans se soucier de leur impact en dehors de nos frontières. Faire perdre leur nationalité aux binationaux criminels, expulser sans discernement les criminels étrangers, bloquer, parce qu’ils sont infiltrés par des groupes terroristes ou sous tout autre prétexte, l’accès des réfugiés sans vouloir participer à une réflexion globale et à une prise en charge solidaire du problème dénoteraient une attitude de parfait égoïsme, revenant à se débarrasser de nos problèmes en enfonçant davantage des pays dont la situation est déjà désastreuse, mais aussi à augmenter massivement la frustration de jeunes sans espoir et à fertiliser le terreau du terrorisme, ce qui n’est certainement pas non plus dans notre intérêt à long terme.

Cibler l’aide

Il n’est certes pas facile de cibler intelligemment l’aide au développement, mais il reste indispensable de manifester notre solidarité avec les pays dans lesquels sévit encore une misère endémique. Et la réticence compréhensible que l’on peut ressentir face à une collaboration avec des pays dans lesquels les droits de l’homme sont mis à mal et où règne la corruption doit précisément s’accompagner d’un effort pour développer des normes internationales contraignantes. Diminuer l’aide au développement et faire prévaloir le droit national sur le droit international seraient en ce sens des signaux désastreux.

Le terrorisme n’est qu’un des nombreux problèmes planétaires que seule une communauté internationale unie et solidaire peut espérer résoudre dans les années à venir. Quand un navire est en péril, il faut monter sur le pont tous ensemble et ce n’est pas en s’enfermant dans sa cabine de première classe que l’on se préservera du naufrage. Il est paradoxal qu’une partie croissante de notre jeunesse ne le comprenne pas et cède aux sirènes d’un nationalisme borné. C’est pourtant son avenir qui est en jeu: puisse-t-elle se réveiller!

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