La paille a longtemps été synonyme de festivités et de légèreté de vivre. Elle amuse les enfants, oxygène les cocktails, réjouit les restaurateurs – car avec une paille, on boit plus vite et on consomme donc plus – et rassure les mâchoires abîmées, qui peuvent téter sans crainte.

Tout cela, c’était avant. Car les pailles ne font plus rire personne. Tous les ans, 500 millions de pailles en plastique atterrissent dans les océans. Elles font partie des dix objets de ce matériau les plus souvent retrouvés sur les rivages. Elles polluent les sols et les cours d’eau, et menacent la biodiversité, au point que de l’Inde aux plages de Malibu en passant par l’Angleterre, la liste s’allonge tous les jours des villes et des pays qui interdisent leur usage.

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Neuchâtel a donc fait sensation il y a un mois en annonçant qu’elle deviendrait la première ville de Suisse à interdire d’ici à 2019 les pailles dans ses bistros et ses fast-foods.

Une première, en partenariat avec En vert et contre tout, l’association écologique neuchâteloise qui a lancé dès avril 2018 Papaye, une campagne de sensibilisation des consommateurs, et avec le soutien de GastroNeuchâtel. La ville proposait aux cafetiers-restaurateurs des kits de pailles compostables gratuits pour sensibiliser leur clientèle (les pailles écolo sont nettement plus chères que leurs homologues en plastique). «Une action symbolique pour une grande prise de conscience collective […] Et ce n’est qu’un début», se réjouissait sur Facebook Violaine Blétry-de Montmollin, la conseillère communale PLR chargée du projet. Las. Le conseiller d’Etat Laurent Favre, son collègue de parti, l’a rappelé en séance au Grand Conseil mercredi: la ville n’a pas la compétence, cette interdiction relève «purement et strictement» du droit fédéral. Fermez le ban.

Ridicule ou d’avant-garde?

Une affaire minuscule, voire ridicule, comme on le lit sur les réseaux sociaux parfois moqueurs («crédibilité», a tweeté laconiquement Nicolas Jutzet, le président des Jeunes libéraux-radicaux de Neuchâtel), ou un combat d’avant-garde? Faut-il forcément interdire ou mettre des taxes pour faire changer les comportements? «On va continuer à aller de l'avant parce qu'on a rencontré un enthousiasme incroyable, maintient Violaine Blétry-de Montmollin, jointe au téléphone. On n'a plus de kits, tout est épuisé. On pense aux gobelets en plastique, à la vaisselle à usage unique. Peut-être qu'il faudra passer par la législation sur les établissements publics. La loi ne doit pas ralentir les plus vertueux.» C’est tout l’intérêt de l’affaire neuchâteloise, de confronter la maturité d’une population à l’évolution de sa législation. «Lutte contre les déchets en plastique: les citoyen-ne-s et les communes agissent, l’Etat somnole», dénoncent les Verts libéraux.

Leïla Rölli, la militante d’En vert et contre tout, reste donc très optimiste. «De plus en plus de gens me contactent, me demandent où trouver des pailles de papier ou en bioplastique. Il n’y avait pas de pailles en plastique pour Festi'neuch et ça s’est très bien passé. Le Charlot à Neuchâtel a divisé par dix le nombre de pailles données à ses consommateurs. Les Verts genevois m’ont contactée. Tout cela est très positif, les citoyens sont en avance sur les autorités», explique celle qui a convaincu la ville de Neuchâtel. Qui ajoute: «J’ai de la peine à comprendre pourquoi la Suisse ne veut pas diminuer sa consommation de plastique.»

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Car cela semble bloqué au niveau fédéral. Le Conseil fédéral vient de faire savoir qu’il n’entendait pas suivre les mesures de l’UE visant à bannir les produits en plastique à usage unique, les solutions devant venir des milieux économiques eux-mêmes. 

Alors, la ville est-elle allée trop vite? Un franchisé McDo n'a pas la liberté d’exclure les pailles même s’il le veut, et des établissements sont peut-être bien heureux qu’une interdiction les couvre. C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt…

En France, l’association Bas les pailles est en contact avec McDonald’s et Disneyland entre autres, et sa pétition pour la suppression des pailles a déjà réuni près de 150 000 signatures.

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