La parentalité provoque l'inégalité au sein du couple
Opinion
OPINION. Si l’on veut donner l’option à tous les couples qui le souhaitent de fonctionner de manière égalitaire, on doit offrir un vrai congé parental et améliorer l’offre de structures de garde, aussi pour les familles à faible pouvoir d’achat, écrit le sociologue René Levy sur la base de sa dernière enquête

Une nouvelle étude montre comment, dans la Suisse contemporaine, les vies des hommes et des femmes continuent de suivre des trajectoires différentes qui prétéritent les femmes.* Pour les hommes, le modèle prédominant suit trois étapes, toutes reliées à l’activité professionnelle: formation, travail à plein-temps et retraite. Les parcours féminins, en revanche, sont marqués par une double insertion professionnelle et familiale, la plupart du temps à leurs dépens.
Après une période initiale de travail à plein-temps, on peut distinguer quatre trajectoires types de femmes. Un premier modèle ressemble au parcours type masculin, mais jalonné de brèves périodes où le travail familial prédomine; il concerne un tiers des femmes. Un deuxième modèle se distingue par le passage au travail à mi-temps; c’est le cas d’un quart des parcours féminins. Un autre tiers se caractérise par une interruption professionnelle, suivie d’un retour à l’emploi, mais à temps partiel. Le quatrième type rappelle le modèle traditionnel, avec la cessation définitive du travail rémunéré en faveur de l’insertion familiale; il représente encore 13% des parcours féminins.
Retraditionnalisation des rôles
Ce n’est pas tant la mise en couple que la transition à la parentalité qui initie la divergence entre les parcours masculins et féminins. La naissance du premier enfant tend à réduire unilatéralement l’engagement professionnel des femmes. Puisque la majorité des couples commencent leur vie commune par une répartition égalitaire des tâches, on peut parler d’une retraditionnalisation de l’organisation familiale.
La pratique des couples est devenue traditionnellement sexuée alors que leurs valeurs restent égalitaires
Notre enquête sur des couples en Suisse romande pendant leur transition à la parentalité a comparé les intentions des partenaires avec leurs pratiques effectives. Les conjoints étaient interviewés séparément à trois reprises: pendant la grossesse, pendant le congé maternité et une année plus tard. Cette étude montre que la proportion des couples avec intentions de répartition égalitaire du travail domestique ne change pas dans le temps: les couples à valeurs égalitaires restent majoritaires après être devenus parents. Par contre, la proportion des couples avec pratiques du travail domestique genrées augmente considérablement lors de la transition. La retraditionnalisation des rôles ne résulte donc pas des intentions des partenaires, car elle concerne autant les couples qui déclarent des intentions traditionnelles que ceux ayant des intentions égalitaires pendant la grossesse. Les pratiques changent pourtant à la naissance du premier enfant, ce qui met un nombre non négligeable de couples dans une situation d’incohérence: leur pratique est devenue traditionnellement sexuée alors que leurs valeurs restent égalitaires.
Congé parental et garderie
Si la retraditionnalisation des couples ne découle pas de leurs intentions mais s’opère malgré elles, qu’est-ce qui en est la cause? Deux analyses, l’une comparant une vingtaine de pays européens et l’autre les 106 microrégions suisses, pointent fortement vers l’environnement institutionnel dans lequel vivent les couples. Deux caractéristiques ressortent comme particulièrement riches en conséquences: la présence d’un congé parental (et non seulement maternel) bien conçu, et l’accessibilité d’une offre suffisante de structures d’accueil extrafamilial pour les enfants (en âge préscolaire et scolaire).
Ces résultats conduisent à une conclusion pratique: si l’on veut donner l’option à tous les couples qui le souhaitent de fonctionner de manière égalitaire, on doit offrir un vrai congé parental et améliorer l’offre de structures de garde, aussi pour les familles à faible pouvoir d’achat. En l’absence de telles mesures, la famille restera une plaque tournante de contraintes sociétales qui pèsent sur les pères en tant que pourvoyeur principal de pouvoir d’achat et sur les mères en tant que responsables unilatérales des «affaires familiales».
René Levy est professeur honoraire de sociologie à l’Université de Lausanne.
* René Levy (2018). Devenir parents réactive les inégalités de genre: une analyse des parcours de vie des hommes et des femmes en Suisse. Social Change in Switzerland No 14.
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