Ma semaine suisse
OPINION. Le nombre de pauvres augmente lentement mais sûrement en Suisse alors que le filet social se délite sous les attaques d’une nouvelle droite libérale et décomplexée, constate notre chroniqueur Yves Petignat

Ce qu’il y a d’agaçant avec les pauvres, c’est qu’ils s’accrochent à vous alors que l’on a envie de parler d’autre chose. Du nouveau chef du Service de renseignement, de Facebook et de la protection des données, d’une nouvelle fiscalité plus favorable aux entreprises, de la pression de la santé et des soins aux personnes âgées sur les budgets. Mais on n’en a jamais fini avec les pauvres. En 2002 déjà, Pascal Couchepin, alors ministre des Affaires sociales, avait la ferme intention d’éradiquer le problème. Avec un budget annuel de 263 millions, il estimait possible que la Suisse en finisse avec la honte des travailleurs pauvres. Dangereux utopiste!
Moins de 2247 francs par mois
Car même si on la dissimule, la pauvreté n’a pas déserté la Suisse. Et cela se remarque même depuis l’étranger. Sous le titre «Pauvre en Suisse, la double peine», le quotidien économique et financier français Les Echos vient de réaliser un reportage sur «la montée persistante des laissés-pour-compte dans cette économie florissante». Dans ce pays, l’un des plus riches du monde, où le taux de chômage n’atteint pas 6%, Les Echos découvrent avec effarement que si la pauvreté persistante est plus faible qu’en France et en Allemagne, «plus de 20% de sa population ne peut pas faire face à un imprévu» et est menacée de tomber dans la pauvreté.
Le radicalisme populaire qu’incarnait Pascal Couchepin a cédé la place à un courant libéral sûr de lui
Le reportage nous arrive alors que l’Office fédéral de la statistique publie ses derniers relevés selon lesquels 615 000 personnes, soit 7,5% de la population, vivent en Suisse avec moins de 2247 francs par mois. Une progression de 0,5% depuis 2016 et qui ne cesse d’augmenter depuis deux ans. L’OFS place la limite de la pauvreté à un revenu de 2247 francs par mois pour une personne seule et à 3891 francs pour un ménage de deux adultes et deux enfants. La pauvreté touche surtout les familles monoparentales avec des enfants mineurs, les personnes seules de plus de 65 ans et celles qui ne bénéficient ni d’une formation ni d’un apprentissage. Parmi ces dernières, 140 000 travailleurs pauvres, ceux que Pascal Couchepin avait le projet sincère de sortir de leur précarité. De plus, nous apprenait Le Temps (23.03.2018), le nombre des chômeurs en fin de droits explose. «Chaque mois, près de 3300 personnes arrivent au bout des prestations du chômage et doivent s’inscrire à l’aide sociale. Sur l’ensemble de l’année, cela fait près de 40 000 exclus du marché du travail.»
Le tabou de la pauvreté
Mais nous ne sommes plus en 2002. Le radicalisme populaire qu’incarnait au Conseil fédéral un Pascal Couchepin a cédé la place à un courant libéral sûr de lui. Le climat politique est devenu plus âpre. La politique sociale, accusée de peser de manière démesurée sur les budgets, est revenue au cœur du jeu de pouvoir entre gauche et droite.
Les débats cinglants qui viennent de se dérouler au Conseil national autour des coupes dans les prestations complémentaires et l’autorisation des détectives sociaux en témoignent. De son côté, le Grand Conseil bernois vient de réduire de 8 à 30% le forfait pour l’entretien dans l’aide sociale. Ce qui touchera d’abord les enfants et les adolescents. Mais aussi les personnes de plus de 50 ans qui perdent leur emploi.
Dans ce climat conflictuel et de suspicion d’abus, être pauvre, c’est la double peine, car relevait dans Les Echos Fabien Junod, des Cartons du cœur, «chez nous, il y a un vrai tabou autour de la pauvreté… Ce n’est pas dans notre éducation de demander de l’aide.»
La précédente chronique: Ueli Maurer inspire-t-il Xi Jinping?
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