Plainte des Aînées pour la protection du climat: une chance pour les politiques aussi
OPINION
AbonnéOPINION. Si la Cour européenne des droits de l’homme donne raison aux KlimaSeniorinnen, elle rendra un grand service aux gouvernements aussi, en leur simplifiant la tâche pour agir, écrit le «savanturier» Bertrand Piccard

On connaissait les grèves du climat et les manifestations de jeunes, voici maintenant les initiatives du troisième âge. De quoi donner un souffle nouveau à l’action climatique!
Cette semaine, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) examine pour la première fois une plainte concernant le changement climatique et son impact sur les droits humains. Cette action en justice contre son propre gouvernement, portée par KlimaSeniorinnen (les Aînées pour la protection du climat) , une association suisse de femmes âgées, peut avoir des implications considérables. Si elle aboutit, elle définira la recevabilité de telles affaires et pourra obliger les Etats à prendre des mesures plus ambitieuses pour atteindre leurs objectifs écologiques. Une décision est attendue d’ici à la fin de l’année. Un échec serait catastrophique pour l’avenir.
On pourrait penser de prime abord que les gouvernements redoutent une condamnation. Je pense que c’est exactement le contraire. Les politiciens sont conscients du problème climatique, mais manquent de soutien populaire pour agir. Souvent, les électeurs ont sanctionné les gouvernements qui s’engageaient dans la voie écologique, et les partis d’opposition en ont profité pour marquer des points.
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Les autorités ont donc besoin d’être contraintes à agir pour ne pas mécontenter leur électorat. Si une décision juridique venait à les forcer, cela leur donnerait la légitimité nécessaire et le discours politique s’en trouverait simplifié. Tout le monde se verrait obligé de l’accepter. J’espère que les gouvernements comprendront qu’une décision positive de la CEDH leur simplifiera la tâche. Elle serait le moyen le plus efficace de nous mettre sur la voie d’une authentique transition écologique.
C’est ce qu’il s’est passé avec la déclaration d’une urgence climatique par le canton de Vaud et de l’adoption subséquente de son plan climatique, à la suite de manifestations menées par la jeunesse. Nous rendons service à nos autorités lorsque nous les mettons dans l’impossibilité de refuser leurs responsabilités.
C’est pourquoi une décision de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur de l’action climatique est si importante. Elle serait bénéfique pour les gouvernements, et pas seulement pour l’environnement, et créerait un précédent pour les pays du monde entier.
Un autre procès intenté par Damien Carême, député vert au Parlement européen, n’est peut-être pas aussi solide que celui de KlimaSeniorinnen. Car lorsqu’un parti politique porte plainte contre d’autres, c’est interprété comme une lutte partisane. Ce qui est indispensable, c’est que cela vienne de la population, d’un collectif civil dans lequel tous les partis politiques sont représentés.
Il est clair que personne n’en fait assez pour protéger l’environnement. Le rapport du GIEC de la semaine dernière n’en est que la preuve la plus récente: les politiques actuelles nous conduisent à un réchauffement de 3,2 °C d’ici à 2100, soit plus du double du niveau «sûr» de 1,5°.
Je préconise depuis longtemps la mise en place d’un cadre législatif plus ambitieux pour réduire notre impact environnemental. En modernisant nos normes et nos réglementations pour tenir compte des avantages offerts par les solutions techniques actuelles, nous pouvons créer la nécessité d’utiliser ces solutions et les tirer vers le marché. Notre monde n’en deviendra que plus efficient et propre
Si je peux affirmer cela, c’est parce que je sais que les solutions existent pour relever ce défi sans nous priver de notre confort. Depuis plusieurs années, nous disposons de solutions pour réduire les déchets, pour réduire la consommation d’énergie et pour développer une économie circulaire qui créera de nouvelles opportunités industrielles. La réponse n’est donc pas de combattre l’économie mais de créer des emplois et du pouvoir d’achat en remplaçant ce qui pollue par ce qui protège l’environnement.
Aujourd’hui, nous devons nous rebeller contre le fait qu’il est encore légal de polluer malgré la disponibilité de nouveaux systèmes, produits et infrastructures qui pourraient réduire massivement notre empreinte. Si la voie judiciaire est le seul moyen d’y parvenir, je la soutiens totalement. Dire que l’on va décarboner en 2050 n’est tout simplement pas suffisant – il faut être légalement responsable d’atteindre le but fixé.
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