Entrepreneur à succès, Thierry Mauvernay préside le groupe pharmaceutique vaudois Debiopharm. Toutes les deux semaines, il livre dans une chonique ses réflexions sur l'entrepreneuriat, extraites de son livre rédigé avec le concours de Giuseppe Mellillo, Ecouter et oser pour entreprendre avec succès, publié en 2022 aux éditions Le Cherche midi.

Dans les années 1990, le fonds LTCM a réuni les meilleurs experts financiers et les plus grands économistes dont deux Prix Nobel d’économie, un ex-vice-président de la Réserve fédérale des Etats-Unis (la Fed). Il comptait aussi la quasi-totalité des banques d’investissement et la Banque centrale italienne parmi ses investisseurs, et ses traders, tous considérés comme des génies en mathématiques financières, étaient dotés d’équipements de pointe. Après avoir levé des fonds importants et pris des positions équivalentes au PIB français, il a connu pourtant une quasi-faillite au bout de deux ans et fait courir un risque majeur au système bancaire international.

Cet échec montre que, pour une entreprise, réunir les individualités les plus qualifiées et mettre à leur disposition le matériel le plus performant ne suffit pas. Un collectif de talents exceptionnels, même placés dans les meilleures conditions, peut échouer, notamment si chacun joue de manière individuelle et sans coordination ni limites. Pour éviter cet écueil, selon moi, une équipe doit être très fortement coordonnée. Il faut lutter contre les silos, et l’entreprise doit focaliser son attention sur trois aspects comportementaux: penser équipe en s’alignant sur des valeurs et des objectifs communs, organiser les feed-back et garantir la diversité.

Un manager ne doit pas craindre de s’entourer de profils plus intelligents et plus compétents que lui. Chez Facebook, par exemple, Mark Zuckerberg s’est fixé pour règle de ne recruter que des employés sous les ordres desquels il serait capable de travailler. Je dis souvent que «le plus grand des talents, c’est de trouver celui des autres». Il est aussi difficile pour un recruteur de jauger l’intelligence et les compétences d’un candidat que de savoir s’il est possible de constituer un groupe qui se complète et qui va créer de la valeur ajoutée.

Vive la diversité

Un autre point crucial consiste à évaluer comment le collaborateur sera capable d’intégrer une équipe et notamment s’il est ouvert aux remarques ou aux critiques. S’il les refuse, toute discussion devient compliquée. Et un fossé se crée qui risque de s’agrandir jour après jour. Si le niveau de susceptibilité du collaborateur est élevé, discussions et avancées seront laborieuses et risquent d’aboutir à des blocages, voire à une rupture, les conversations tournant rapidement à la confrontation plutôt qu’au dialogue, la moindre suggestion provoquant une réaction purement émotionnelle. N’oublions pas qu’il est primordial de ne jamais juger les personnes mais uniquement les faits. Ce n’est pas parce que vous vous trompez que vous êtes bête. Des erreurs, nous en commettons tous. En revanche, en n’acceptant aucun feed-back, on se prive de la possibilité de s’améliorer.

Bertrand Ducrey, le directeur de Debiopharm International, a une jolie phrase à ce propos: «Le feed-back est un cadeau.» Il faut beaucoup de sagesse pour raisonner ainsi. Souvent, nous avons tendance à fuir les critiques parce qu’elles peuvent être douloureuses. Selon Elon Musk, c’est une erreur. Il faut rechercher activement le feed-back négatif.

Enfin, n’oublions pas l’importance de la diversité dans le choix d’une équipe. Plusieurs études en cours menées notamment à l’Université de Carnegie Mellon et au MIT de Boston semblent démontrer que les performances d’un groupe ne sont pas corrélées à l’intelligence individuelle de ses membres, ni à la satisfaction, à la cohésion ou à la motivation de l’ensemble, mais à une présence féminine. Par exemple, plus un groupe comprend un nombre important de collaboratrices, plus l’intelligence collective a tendance à s’élever. Mais elle retombe dans le cas d’une entité exclusivement féminine. Les groupes mixtes obtiennent ainsi de meilleures performances que les équipes exclusivement masculines dont les membres ont le QI le plus élevé. Les unités qui fonctionnent le mieux sont celles dans lesquelles chacun écoute les autres et partage des critiques constructives. Un équilibre naturel hommes-femmes, sans aller vers des quotas, est probablement l’idéal.

Sur la Suisse: Thierry Mauvernay: «La Suisse n’est pas une start-up nation»

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