Politesse
Tokyo graphie
Modestie, retenue, propreté: le Japon est un empire de politesse. A tel point que la préfecture d’Hokkaido a émis un guide des bonnes manières à l’attention des visiteurs chinois… Est-ce bien raisonnable?

On peut la griller, la souffler ou la retourner, mais au fond qu’est-ce que la politesse? Un art oratoire, une marque d’éducation, un reflet de la vertu, bref, un outil de communication et d’interaction. Ou alors: l’expression d’un certain capital culturel, un moyen de signifier sa classe, la forme la plus aiguë du masque social, bref, un outil de séparation et d’exclusion.
Si je me pose cette question, c’est parce que le Japon, véritablement, est un empire de politesse. Bon. Il m’arrive à Tokyo de me faire légèrement bousculer dans le métro, voire, à la rigueur, de subir l’imperceptible baisse d’humeur d’un serveur débordé. Mais, de manière générale, il règne dans l’Archipel une bienséance incomparable. Modestie, retenue, extrême propreté et souci de ne pas perturber l’ordre établi constituent la liste non-exhaustive des bonnes manières nippones. La politesse, au Japon, relève de l’identité nationale.
A tel point que l’office du tourisme d’Hokkaido a émis récemment un petit guide de bonne conduite à l’attention des visiteurs étrangers. Et par visiteurs, il faut comprendre «visiteurs chinois». Leur nombre a beaucoup augmenté ces dernières années, et, avec lui, disent certains médias, le nombre de déprédations et de nuisances dans les hôtels et les lieux de visite.
La brochure est disponible en mandarin, ainsi qu’en anglais depuis qu’une révision en a passablement atténué le propos, jugé blessant par des résidents chinois de Hokkaido. N’empêche, au fil des pages colorées, il y est toujours question de: ne pas voler la vaisselle au restaurant ou le sèche-cheveux dans la chambre, ne pas flatuler ou roter bruyamment à table, ne pas violer la propriété privée d’autrui, ne pas ouvrir d’emballages dans les magasins avant d’avoir payé, ne pas souiller les toilettes, ou encore ne pas jeter ses déchets de manière inadéquate, particulièrement les couches usagées.
La brochure trahit une farouche grossièreté, mais je ne saurais dire de la part de qui: serait-ce, d’un côté, l’inconvenance (assumée?) de certains clients Chinois dont le comportement appelle pareille mise en garde? Ou, de l’autre, la suffisance de certains hôteliers japonais dont le ton condescendant va faire du tort à bien des touristes éduqués?
Je ne m’aventurerai pas jusqu’à dire que cette ambiguïté résume fort bien les difficiles rapports entre Chinois et Japonais, dont les modes de communication semblent décidément incompatibles. Non, je ne le ferai pas. Je ne voudrais surtout pas paraître impoli.
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