Incidences
OPINION. Le Conseil fédéral devrait saisir l’occasion du débat sur le Pacte sur les migrations pour affirmer avec plus de fermeté le principe constitutionnel qui lui confère la responsabilité de la politique étrangère et remettre le parlement à sa place, estime notre chroniqueur François Nordmann

La responsabilité de conduire les relations avec l’étranger est selon la Constitution une prérogative du Conseil fédéral. Dans certains secteurs transfrontaliers, les cantons sont aussi autorisés à traiter avec leurs voisins, mais toujours sous l’égide de la Confédération.
Juste avant la Seconde Guerre mondiale le parlement s’est doté de commissions permanentes chargées de suivre les activités du Département politique fédéral, l’ancêtre du Département des affaires étrangères actuel. En général, le parlement s’est montré très prudent dans ses critiques durant la période de l’après-guerre.
Avec la montée en puissance de la coopération au développement et l’accroissement de la participation aux institutions financières de l’ONU, le parlement s’émancipa, notamment sous la pression de l’UDC, dans le courant des années 1970. Le rapprochement avec l’Union européenne, l’ouverture de la Suisse à la coopération en matière de sécurité en Europe, la collaboration active avec les missions de paix de l’ONU donnèrent lieu à des oppositions caractérisées. Par la suite, pour tenir compte de l’intérêt accru suscité par la politique extérieure, on a assoupli les dispositions du référendum en matière de traités internationaux.
Droit de consultation du parlement
Le Conseil fédéral a élargi le droit de consultation du parlement, des cantons et des associations pour ce qui est des grandes décisions de politique étrangère. Mais on voit monter depuis peu une pression en faveur de l’extension du droit de consultation. Le parlement, par le biais de ses commissions des affaires étrangères, remet en question des choix arrêtés par le Conseil fédéral dans le cadre de ses compétences, et ce même après qu’il a consulté le parlement… Tel fut le cas cet été avec la candidature de la Suisse au Conseil de sécurité, pourtant clairement acquise.
Le conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Département des affaires étrangères, n’a pas convaincu le parlement de la valeur du pacte
Quand le Conseil fédéral décida d’autoriser la livraison d’armes à des pays participant à des guerres civiles, et notamment à l’Arabie saoudite, la rébellion au parlement et dans l’opinion publique contraignit le gouvernement à reculer, sous peine de se voir retirer la compétence de déterminer la liste des pays destinataires. Enfin plus récemment une partie du parlement tente de faire revenir le Conseil fédéral sur sa décision de signer le Pacte de l’ONU sur les migrations. Ce document a été élaboré à la suite d’initiatives de la Suisse pour organiser la collaboration internationale en matière de migration qui remontent à plus de quinze ans, à l’époque de la conseillère fédérale Ruth Metzler.
Pacte sur les migrations
Le pacte a été rédigé en partie sous l’autorité de l’ambassadeur suisse Jürg Lauber. Il ne comporte aucune contrainte, il préserve la souveraineté des Etats, y compris le refus d’admettre des migrants sur son sol, tout en veillant au respect des droits et de la dignité conférés aux migrants. Enfin il souligne l’intérêt économique que peut représenter une migration sûre, ordonnée et régulière pour les Etats d’origine, les pays d’accueil et les migrants eux-mêmes. Par là il s’oppose aux préjugés et à l’hostilité qui sous-tendait «l’initiative contre l’immigration de masse» de l’UDC sur laquelle nous avons voté en 2014.
Le conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Département des affaires étrangères, n’a pas convaincu le parlement de la valeur du pacte. Il est d’avis qu’il faut jouer jusqu’au bout le jeu des institutions, et ne s’oppose pas à ce que le parlement se prononce sur une affaire qui relève du Conseil fédéral. Un débat aura donc lieu au début de la prochaine session. Le Conseil fédéral devrait saisir l’occasion pour affirmer avec plus de fermeté le principe constitutionnel qui lui confère la responsabilité de la politique étrangère et remettre le parlement à sa place. Il doit s’opposer résolument à la tendance populiste biaisée qui voudrait mélanger les compétences et recourir au parlement ou au peuple pour un oui ou pour un non, sans égard pour l’activité opérationnelle du gouvernement, faisant fi des textes en vigueur.
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