Pollution au plastique: mettre fin aux demi-mesures
OPINION
OPINION. Il faut enfin parvenir à une vraie définition de l’économie circulaire pour changer notre relation au plastique, argumente Milan Despotovic, de The SeaCleaners
Ce texte fait partie d'une semaine spéciale de débats consacrés aux défis économiques de la crise climatique.
- Premier jour: (Dé)croissance et /dé)mesures Découvrez la présentation de cette opération
- Deuxième jour: Le rôle des consommateurs Découvrez la présentation de cette opération
- Troisième jour: Le rôle des entreprises Découvrez la présentation de cette opération
- Quatrième jour: L'économie circulaire Découvrez la présentation de cette opération
La photo date de 1955. On y voit un jeune couple dansant au milieu d’un ouragan coloré d’assiettes et de gobelets en plastique. Avec cette couverture, le magazine américain Life mettait en scène la «révolution du jetable», symbole de la société de l’insouciance et de l’abondance, rendue possible par la démocratisation des produits en plastique. La promesse était enivrante: «légers, pratiques, pas chers à fabriquer, remplaçables, les articles jetables réduisent les tâches ménagères. » Le plastique avait tous les avantages et on se contentait de le jeter à la fin. Nous ne nous préoccupions pas de ce qu’il allait devenir.
Soixante-sept ans plus tard, nous avons déchanté: nous savons que les ressources de notre planète ne sont pas illimitées, que le coût écologique de penser le contraire est insupportable à court terme et que les déchets plastiques sont devenus une source majeure de pollution de la terre, des airs et des océans.
Pourtant, notre addiction au plastique n’a jamais été plus forte: l’an dernier, près de 400 millions de tonnes de plastiques ont été produites dans le monde, soit l’équivalent du poids de l’humanité tout entière. Pire: 40% de ces produits sont dits «à usage unique» et jetés au bout d’un mois. A l’échelle mondiale, à peine 10% de tout le plastique produit est recyclé. Moins de 2% sont recyclés plus d’une fois. Tout le reste est enfoui, incinéré, jeté dans des décharges à ciel ouvert ou simplement abandonné dans la nature, avec des impacts environnementaux majeurs.
L’économie circulaire apporte une réponse à cette équation en visant à transformer notre économie linéaire du «produire, consommer, jeter» en une stratégie vertueuse dite des 3R: «réduire, réutiliser, recycler».
Mais parvenir à ce point d’équilibre exige des efforts drastiques de tous, qui commencent par un exercice de lucidité. Or c’est bien là que le bât blesse: trop souvent, les politiques publiques réduisent l’économie circulaire à l’amélioration du recyclage et à l’éco-conception de nouveaux matériaux. Autrement dit: on met notre déchet en plastique amélioré dans la bonne poubelle et on pense qu’il sera automatiquement «remis dans le circuit» vertueusement, et que le problème sera réglé.
Pourtant, ces deux dimensions ne représentent qu’une faible partie de l’économie circulaire.
Grâce aux efforts de R & D (recherche et développement) des acteurs de la plasturgie, on voit fleurir les matériaux de nouvelle génération censés répondre aux nouvelles exigences environnementales en étant biosourcés, biodégradables, dépolymérisés, et avec une capacité de recyclage infini. Bien que ces voies soient prometteuses, elles restent encore peu matures pour des usages industriels. Et, surtout, ces matériaux ne sont pas revalorisés correctement car la filière de valorisation n’est tout simplement pas développée. Résultat: ils finissent souvent à l’incinérateur!
Pour résoudre la crise des déchets plastiques, éco-concevoir un «matériau magique» ou instaurer le tri généralisé ne suffira pas: il faut faire évoluer toute la chaîne de valeur et appréhender pleinement la dimension systémique de l’économie circulaire.
En traitant le plastique comme une ressource plutôt que comme un déchet aux externalités négatives, il est possible de changer fondamentalement notre relation au plastique. Dans de nombreux pays, des expériences de Social Plastic existent, au travers desquelles le plastique usagé est vendu à un prix légèrement supérieur au plastique vierge à des sociétés qui le réutilisent ensuite dans leurs processus de fabrication en indiquant aux consommateurs la provenance du plastique.
Parallèlement, l’économie circulaire pour réduire nos déchets ne peut s’entendre sans une lutte déterminée contre le gaspillage, la culture du tout jetable et de l’usage unique, l’obsolescence programmée et le consumérisme à outrance.
Nous ne pourrons dire que nous sommes sur la bonne trajectoire que lorsque l’économie circulaire cessera d’être une vague notion dissimulant l’illusion d’un modèle basé sur la croissance continue de consommation de ressources et deviendra une réalité comprise par tous, du consommateur au producteur, en passant par nos décideurs.
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