Poutine, nouvel acteur de l’imbroglio nord-coréen
Opinion
AbonnéOPINION. Après la rencontre entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine, Pyongyang devra prendre en compte les intérêts russes en plus des chinois, réduisant sa flexibilité dans les négociations avec les Américains. Cela n’augure rien de bon pour 2019, écrit le professeur assistant en relations internationales Lionel Fatton

Un nouvel acteur est apparu dans l’imbroglio diplomatique autour de la question nord-coréenne. Vladimir Poutine a rencontré fin avril son homologue Kim Jong-un à Vladivostok, siège de sa flotte du Pacifique. Bien qu’il n’ait pas débouché sur un accord ou une déclaration conjointe, se limitant à de vagues promesses de collaboration, le sommet est d’une importance capitale pour la Corée du Nord, et dans une moindre mesure pour la Russie. Il risque aussi de compliquer les négociations entre Nord-Coréens et Américains, et 2019 se dessine déjà comme une année charnière pour les relations bilatérales.
Avec ce sommet, la Russie a réintégré le jeu des grandes puissances en Extrême-Orient, duquel elle avait été passablement absente depuis la fin des années 2000, caractérisée par la dissolution des pourparlers à six et la réorientation de sa politique étrangère sur ses flancs ouest et sud-ouest. En se rapprochant de la Corée du Nord, la Russie envoie un message aux Etats-Unis ainsi qu’à la Chine: il faudra désormais compter avec elle, c’est-à-dire être prêt à faire des concessions pour avancer sur le dossier nord-coréen.
L’«amitié retrouvée» avec Pyongyang servira à Moscou de monnaie d’échange avec ces deux pays, par exemple concernant les sanctions imposées par Washington et ses alliés en réponse à la crise ukrainienne de 2014 ou la pénétration chinoise en Asie centrale, chasse gardée russe héritée de l’Union soviétique.
Radicalisation de la diplomatie nord-coréenne
L’importance du sommet entre Poutine et Kim est plus grande encore pour la Corée du Nord. Pour le comprendre, le contexte est essentiel. Le sommet intervient deux mois après l’échec de la rencontre entre le dirigeant nord-coréen et Donald Trump au Vietnam, et le président russe est le premier chef d’Etat avec lequel Kim s’est entretenu depuis lors. Du point de vue de la Corée du Nord, l’échec vietnamien semble indiquer que les Etats-Unis rejettent son approche visant à synchroniser dénucléarisation et allégement des sanctions internationales. Et Pyongyang a besoin d’un tel allégement pour revitaliser son économie, tout en maintenant sa capacité de dissuasion nucléaire. Après l’annonce fin 2017 par les médias nord-coréens de «l’achèvement d’une force nucléaire d’Etat», le régime se concentre à présent sur le développement d’une «puissante économie socialiste». Il y va donc de la légitimité politique de la dynastie Kim.
La Corée du Nord a repris ses activités au complexe nucléaire de Yongbyon ainsi que sur une base de lancement de missiles intercontinentaux
Dans le sillage de l’échec vietnamien, il semble que la classe politique nord-coréenne ait été divisée quant à la marche à suivre pour amener les Etats-Unis à faire des concessions. Certains auraient prôné un retour aux préparatifs militaires et aux provocations, tandis que d’autres auraient favorisé l’approche diplomatique. Sous pression, les colombes ont dû lâcher du lest. La Corée du Nord a repris ses activités au complexe nucléaire de Yongbyon ainsi que sur une base de lancement de missiles intercontinentaux.
Une nouvelle arme tactique a récemment été testée et plusieurs roquettes lancées, le tout sous la supervision de Kim. Sur le plan diplomatique, Pyongyang a durci le ton, fixant à fin 2019 l’échéance pour un changement de comportement des Américains et appelant à la démission du secrétaire d’Etat Mike Pompeo et du conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Le sommet entre Kim et Poutine s’inscrit dans cette radicalisation de la diplomatie nord-coréenne.
Affaiblir les sanctions
En rencontrant Poutine, Kim a obtenu le soutien de la Russie dans son bras de fer avec Washington, renforçant sa position. Il a aussi posé les jalons d’un axe vertical s’entendant de la Corée du Sud à la Russie. Cet axe, s’il se matérialise, a le potentiel d’affaiblir considérablement l’impact des sanctions qui pèsent sur la Corée du Nord. Moscou et Séoul veulent, pour des raisons différentes, stimuler les relations économiques et les échanges transcoréens et développer des infrastructures telles que le rail, du sud de la péninsule à la Sibérie.
Non seulement l’économie nord-coréenne bénéficierait directement de cette dynamique, elle nécessite aussi l’allégement préalable des sanctions onusiennes. La Russie étant un membre permanent du Conseil de sécurité, Pyongyang a acquis un allié de poids pour plaider sa cause. Et la Russie semble bien moins réticente que la Chine à s’opposer à Washington sur le dossier nord-coréen, Pékin étant pris à la gorge par la guerre commerciale.
Le rapprochement entre Moscou et Pyongyang va créer des difficultés dans les discussions entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, raison pour laquelle le pari est risqué pour cette dernière. Kim a d’ailleurs attendu près d’un an avant d’accepter l’invitation de Poutine. Dorénavant, Pyongyang devra prendre en compte les intérêts russes en plus des chinois, réduisant sa flexibilité dans les négociations avec les Américains. Cela n’augure rien de bon pour 2019.
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