Les fronts bougent dans les milieux bancaires. Récemment, le vice-président de Credit Suisse Urs Rohner a affirmé que la distinction entre évasion et fraude fiscale n’avait pas de sens. «Il y a une année, on n’aurait jamais entendu de tels propos dans la bouche d’un banquier, commente Veit de Maddalena, interrogé par la Handelszeitung. Dans la branche, des opinions très différentes coexistent quant à la manière de réagir aux pressions. Mais la plupart des acteurs ont compris que le contexte international a changé et changera encore. Le fait que les politiciens suisses s’expriment sur une stratégie d’argent blanc montre aussi qu’un changement d’orientation est en cours.»

Pour le banquier privé zurichois, il faut en conséquence qu’«un dialogue – et non une confrontation – s’établisse avec les gouvernements des pays qui cherchent à récupérer des recettes fiscales. Dans les pourparlers que la Suisse a avec ceux-ci, elle devrait essayer d’obtenir que la phase de changement soit la moins dommageable possible pour nos clients et pour la Suisse. Les amnisties fiscales sont un bon moyen de parvenir à cet objectif. Si nous pouvons obtenir pour nos clients des solutions similaires à celles que leur offre l’Italie, les choses se passeront mieux».

«Nous informons nos clients des amnisties fiscales en cours et les rendons attentifs aux risques qu’ils courent. Nous leur conseillons de profiter des possibilités ouvertes, pour autant qu’ils soient concernés. Si un client n’est pas au clair sur son statut, un conseiller fiscal indépendant peut être consulté. Nous disons clairement à notre clientèle que le secret bancaire va changer. Dans un premier temps, les personnes concernées doivent se faire à cette idée. Mais ensuite, ils nous sont reconnaissants de les avoir avertis.» Pour Veit de Maddalena, la recherche d’autres solutions pour échapper au fisc est illusoire. «Cela peut fonctionner pendant un certain temps. Mais c’est la politique de l’autruche. Les autorités de surveillance ont déjà dans leur champ de tir les produits de substitution. La tendance globale est claire: nous allons de toute évidence vers la transparence fiscale.» «Nous ne pouvons pas faire le gros dos en attendant que la pression redevienne moins forte. Cette tendance est irréversible. Il y a des périodes où le sujet est au sommet de l’agenda international, et d’autres où la situation devient plus calme. Mais chaque fois qu’une vague arrive, elle est plus forte que la précédente.»

La Suisse espère un accès plus libre au marché bancaire européen en échange de sa flexibilité sur le secret bancaire. Sur ce sujet aussi, Veit de Maddalena fait preuve d’un froid réalisme: «Ce sera difficile, car nous avons commencé à céder du terrain sur le secret bancaire seulement lorsque nous avons été mis sous une forte pression. Si nous avions trouvé une solution crédible avec nos voisins il y a encore trois ans, la base de discussion aurait été différente. Maintenant, notre marge de manœuvre n’est plus très grande.»

L’échange automatique d’informations fiscales entre pays européens fait frémir bien des banquiers suisses. Le directeur général de Rothschild Private Banking & Trust les invite à ne pas se faire d’illusions. Le sujet est certes encore en négociation entre les pays membres de l’Union européenne, mais la pression sur les Etats réfractaires (Luxembourg et Autriche) est forte. «Il est difficile de dire combien de temps ces pays et la Suisse pourront résister. Mais tout banquier ayant une réflexion stratégique doit prendre en compte le fait que, tôt ou tard, l’échange automatique d’informations pourrait devenir une réalité. C’est pourquoi ma banque a une politique onshore sur les marchés suisse, allemand et anglais. C’est pourquoi aussi nous nous tournons vers des clients qui déclarent leur fortune au fisc. Si nous poursuivons cette politique dans les deux ou trois prochaines années, nous n’aurons plus de problème stratégique.» Ce n’est donc pas la catastrophe annoncée par certains acteurs du secteur: «Aussi longtemps que les autorités fiscales de nos partenaires continueront de préserver la sphère privée de nos clients, nous pouvons vivre avec cette solution.»

Selon Veit de Maddalena, la disparition de l’atout du secret bancaire fera entrer la banque suisse dans un environnement beaucoup plus concurrentiel. Dans cette perspective, «nous faisons constamment des efforts pour renforcer notre efficience. Dans ce processus, notre Operating Model et la technologie jouent un rôle central. Mais le service au client ne doit pas en pâtir. Nous avons aujourd’hui la capacité de gérer encore plus d’argent frais déclaré, ce qui a été le cas pour notre banque durant l’exercice 2009/2010.»

Adaptation: Xavier Pellegrini.

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