Ils n’ont pas froid aux yeux: les adversaires du référendum contre Frontex n’ont pas hésité à brandir l’argument farfelu qu’augmenter le financement de l’agence, c’est prendre ses responsabilités face aux droits humains. Piquant, si l’on considère que cette affirmation provient de partis et formations politiques au sein desquels le souci des droits fondamentaux brille généralement par son absence.

Il faut cependant leur accorder un point: c’est bien de responsabilités qu'il sera question lors de la votation du 15 mai. En tant que membre de l’espace Schengen, la Suisse doit prendre ses responsabilités de pays hôte de la Déclaration de Genève sur le droit des personnes réfugiées. Elle ne peut pas accepter sans rien dire l’augmentation du financement d’une agence qui piétine quotidiennement les droits fondamentaux des personnes en fuite.

Il n’y a rien d’automatique

D’un point de vue démocratique, l’agence européenne Frontex doit également être mise face à ses responsabilités; en termes notamment de transparence sur ses activités et son fonctionnement. Rappelons que le Parlement européen lui-même a suspendu 12% du budget de l’agence, à la suite des révélations sur l’implication de Frontex dans des refoulements illégaux. La pression financière semble être le seul levier efficace face à une agence qui échappe à tout contrôle. Jusqu’ici, les développements successifs de l’agence s’étaient déroulés en dehors de tout débat démocratique large. Le gel du budget par le Parlement européen et la saisie du référendum par le mouvement d’asile en Suisse permettent de corriger en partie cette dangereuse erreur.

La pression financière semble être le seul levier efficace face à une agence qui échappe à tout contrôle

La démission récente, et tardive, de Fabrice Leggeri, alors directeur de l’agence, a le mérite de montrer que les accusations formulées depuis des années par les organisations de défense des droits humains sont avérées. Ce ne sont pas les mécanismes de contrôle internes à l’agence, dont on connaît depuis longtemps l’inutilité, qui ont poussé Leggeri à la démission. Il s’agit plutôt de la conséquence des pressions exercées par la société civile et les médias, avec les révélations d’implication directe de Frontex dans des pushbacks. Le départ du directeur de l’agence ne règle pas tout, bien au contraire. C’est la structure de l’agence, son trop grand pouvoir d’exécution et son autonomie par rapport aux pouvoirs politiques qui sont fondamentalement dangereux. La tête part, mais le corps reste.

Face aux affirmations d’une sortie automatique de l’espace Schengen en cas de victoire du référendum, il est important de corriger: il n’y a rien d’automatique. L’outil du référendum permet surtout au Parlement de revoir son projet, pour le rendre plus conforme à la volonté populaire. Dire non au financement de Frontex du point de vue de la transparence démocratique et des droits humains permet à la Suisse de faire entendre une voix critique sur le fonctionnement de l’agence.

Refus de responsabilités

Le référendum, même victorieux, ne suffira pas pour abolir Frontex, personne ne se fait cette illusion. Il permettra, par contre, de faire en sorte que les privilèges que la Suisse tire de l’appartenance à l’espace Schengen ne nous aveuglent pas sur leurs conséquences: une part importante de l’humanité en est violemment exclue. Quand l’argent, les marchandises et les personnes riches, blanches et privilégiées franchissent les frontières sans aucun problème, les personnes dont la seule faute est d’être nées au mauvais endroit se retrouvent confrontées à la répression et à l’exclusion.

Collaborer avec l’Union européenne et ses institutions lorsque cela nous arrange et ne rien dire quand celle-ci réprime les volontés de survie des personnes exilées, c’est le pire exemple de refus de responsabilités que l’on puisse imaginer. Prendre ses responsabilités en tant qu’Etat de droit et en tant que membre de l’espace Schengen, c’est donner un signal politique clair le 15 mai: nous refusons de fermer les yeux sur la menace que Frontex représente pour les personnes non européennes et pour le respect des droits fondamentaux de toutes et tous.

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