Ma semaine suisse
La présidence miraculeuse
La sécurité en Europe semblait ne plus devoir être un sujet après la chute du Mur. Jusqu’à l’invasion russe de la Crimée et la guerre ouverte par Poutine à l’est de l’Ukraine. Le hasard a placé la Suisse neutre aux commandes de l’OSCE à ce moment critique. C’est aussi le fruit du hasard si le ministre Burkhalter, chef des Affaires étrangères, a présidé la Confédération cette année balayée par des vents mauvais de Guerre froide.
Le hasard fait bien les choses, mais la chance ne sourit qu’aux audacieux. Il fallait saisir l’occasion. Etre un arbitre professionnel et crédible; pour maintenir le dialogue entre les parties; opposer sans relâche le droit international à la force. Une mission de bons offices comme la Suisse neutre les aime. Le calendrier était idéal, le costume taillé pour un Burkhalter disponible, persévérant et à l’aise avec les acteurs clés auxquels son rang de chef d’Etat lui donnait accès. Le président suisse et ses diplomates méritent les éloges qui leur sont adressés ces jours pour les précieux services rendus.
Que cela ne dissipe toutefois pas un constat amer: même sous la présidence miraculeuse de la Suisse, l’OSCE n’a pas atteint beaucoup. Parce que les pouvoirs de ce forum sont faibles et qu’il n’a pas les moyens de ses ambitions.
L’ancien ambassadeur d’Allemagne à Berne Peter Gottwald va plus loin. Il bouscule quelques certitudes suisses dans une tribune (NZZ du 05.12.2014) que devraient lire ceux qui célèbrent la Suisse «neutre, libre, indépendante». Pour freiner la Russie, la diplomatie des bons offices ne suffit pas; il faut des instruments de pouvoir que seuls les grandes puissances et des groupes d’Etats comme l’Union européenne ou le G20 peuvent engager. Les solutions aux crises contemporaines se forgent au sein de constellations de puissances auxquelles la Suisse se retient de participer ou n’est pas invitée. Ce choix d’abstinence est respectable mais garantit-il à la Suisse les meilleures conditions pour défendre ses intérêts? Ni la Suède membre de l’UE, ni la Norvège membre de l’OTAN ne se sont affaiblies à l’intérieur d’une alliance. En participant aux échanges là où se forgent les décisions, elles influencent celles-ci davantage qu’un Etat se tenant à la marge.
La Suisse, petit géant économique mais grand nain par la taille de sa population, a-t-elle conscience de cet enjeu? Cela renvoie à nos relations à l’Union, embourbées si l’on prête attention à l’aveu de quasi-impuissance fait par notre homme à Bruxelles, l’ambassadeur Roberto Balzaretti (Berner Zeitung du 02.12.2014). La libre circulation des personnes, la pomme de discorde qui bloque tout, est déclarée non négociable par l’UE. Depuis le 9 février et cette majorité de hasard qui impose à la Suisse de freiner l’immigration par des quotas et la préférence nationale, le ton n’a pas varié à Bruxelles et il ne semble pas près de changer. Les excellents contacts que le président Burkhalter a noués à l’OSCE, spécialement avec l’Allemagne, n’ont pas aidé la Suisse à arracher un peu de flexibilité à Bruxelles. Dogmatisme européen? Les Vingt-Huit votent en bloc des principes qu’ils estiment avoir un intérêt mutuel à défendre.
Les semaines précédant le fameux 9 février, on n’a pas vu le président Burkhalter modifier son agenda pour tenter d’inverser un vote qui menaçait de le fragiliser. Après le 9 février, il a refusé de parler de crise. Courant normal! Il a eu de brefs échanges informels avec les dirigeants de l’UE, mais pas de rencontre officielle. Il s’est abrité derrière les ministres «techniques» et son secrétaire d’Etat, les laissant discuter les points ouverts. C’est peu dire que cette année il n’a pas «porté» la relation Suisse-UE comme un chef alors qu’elle se dégradait. C’est la pierre noire de sa présidence.
Après l’excitation et les honneurs des présidences de la Confédération et de l’OSCE, le ministre des Affaires étrangères fait face à son Everest: stabiliser et rénover la voie bilatérale. Son calme olympien et rassurant sera utile; mais en aura-t-il l’autorité et la détermination? Il y a des coups à prendre; son parti ne le suit pas ou à reculons; le Conseil fédéral est divisé et méfiant, à l’instar des partis tous tétanisés par une approche kitsch de la souveraineté; le peuple est saoulé d’eurobashing. Si une belle présidence de l’OSCE gonfle l’ego, un échec sur le dossier européen serait accablant pour tout le pays.
Cette chronique est la dernière qu’il m’est donné d’écrire dans ce journal. Ce fut un privilège. Vos commentaires m’ont porté, je vous en suis reconnaissant.
Après les honneurs, Didier Burkhalter fait face à son Everest: stabiliser et rénover la voie bilatérale
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