C'est étonnant à quel point une seule journée peut faire la différence dans cette période électorale mouvementée de 2008. Avec le caucus de l'Iowa, on aurait pu croire qu'une aube nouvelle se levait pour les Etats-Unis en ce début d'année. Barack Obama n'a pas seulement écrit L'audace de l'espoir, il a également su incarner personnellement l'espoir, lors d'un discours électrisant en apothéose d'une victoire inattendue, mais sans appel. Après une période interminable de politique partisane - et la perspective d'une fin possible de l'époque Bush-Clinton-Bush - les Etats-Unis semblaient prêts à renouer avec l'espoir et l'optimisme.

Et pourtant, après quelques semaines à peine et deux courtes victoires de Hillary Clinton, l'horizon s'est assombri et la campagne a été dominée par de vifs échanges entre candidats sur des questions de race et de genre et par des accusations graves - dont plusieurs manifestement et outrageusement fausses. Si nous avions clairement sous-estimé la capacité de l'espoir à relever la tête, nous avons encore plus sous-estimé la difficulté de le préserver, même pour un court laps de temps. Tout au long de cette pitoyable semaine de campagne électorale en Caroline du Sud, je ne pouvais m'empêcher de souhaiter que les événements ne soient qu'un film sur un DVD dont je pourrais choisir dans le menu une autre fin après l'Iowa, une fin plus acceptable et en fait, meilleure pour le pays.

Plus près de chez nous, en Suisse, nous avons pu assister à de vifs débats à Davos, où l'un des thèmes principaux était la montée en puissance des marchés émergents et l'affaiblissement relatif des Etats-Unis. George Soros y a annoncé la fin de la prééminence du dollar, au moment même où les dirigeants politiques américains faisaient tout leur possible pour trouver une solution d'urgence à la débandade des marchés, liée aux difficultés économiques américaines. L'enlisement, semble-t-il sans fin, de la guerre en Irak, couplé à l'attitude de l'administration actuelle à Washington, montrent à l'évidence qu'il faut plus, bien plus que de nouvelles politiques aux Etats-Unis - il faut un leadership qui unisse et inspire véritablement le peuple américain (et qui de manière tout aussi importante change d'attitude au sein de la communauté internationale).

Lorsque nous pensons à des dirigeants capables, nous pouvons nous tourner vers des modèles de réussite dans le monde des affaires - Davos n'en manquait pas - ou dans le monde du sport. En plus des compétences et d'une certaine habileté - des atouts nécessaires mais insuffisants - le leadership nécessite d'autres qualités intangibles qui permettent à un dirigeant de souder une société, une équipe sportive et, oui, même un pays. Un dirigeant doué inspire de l'espoir, et ce faisant pousse les individus à donner le meilleur d'eux-mêmes et à faire tout leur possible pour créer des lendemains meilleurs. L'espoir est ce qui nous fait nous lever le matin, ce qui nous pousse de l'avant malgré les nombreuses difficultés et ce qui donne un sens à la vie.

Barack Obama nous a redonné l'espoir et l'a placé au centre de sa campagne. Il l'a fait de trois manières essentielles: il a été rassembleur, à un point tel que ses adversaires ont tenté de l'associer uniquement à la communauté afro-américaine de façon à lui aliéner les autres groupes électoraux clés. Sa capacité, non seulement à rassembler, mais également à faire participer de nouveaux groupes démographiques - comme les jeunes - au processus électoral a été stupéfiante et s'est manifestée par des taux de participation record. Il a été positif dans son approche et son message, une attitude incarnée par le slogan «Oui, nous le pouvons». Enfin, il a été authentique, une qualité fondamentale pour un dirigeant politique.

Même s'il a été sévèrement critiqué pour cela, il n'a pas craint d'avouer ses défauts - comme sa difficulté à rester organisé. Il a également su commenter de manière objective et intelligente la nature évolutive de son parti d'opposition dans une perspective historique. Il est intéressant de noter que ces trois qualités, et d'autres, ont cruellement fait défaut à notre président actuel, qui s'était pourtant qualifié de «grand unificateur».

Il est assez ironique de constater que la principale force motrice derrière les tentatives d'enterrer ce regain d'espoir aux Etats-Unis soit notre ancien président Clinton, l'homme de la ville de Hope (Espoir en anglais), en Arkansas, où il est né. En grande partie en raison de ses interventions multiples, voire frénétiques, et de son rôle éminemment visible - imaginez de quoi il serait capable s'il retournait à la Maison-Blanche - dans le bref espace de quelques semaines, la dynamique de la campagne a radicalement changé de cours.

Voir Bill Clinton occuper régulièrement le devant de la scène, au détriment de son épouse, et à vrai dire de tous les autres candidats, a été plutôt déprimant, en particulier après qu'il ait endossé un costume plus grand que nature comme homme d'Etat et ambassadeur des grandes causes dans le monde entier. Bien que ses tactiques aient échoué, du moins dans le court terme, et qu'il soit désavoué par un nombre croissant de pontes du parti démocrate, il semble déterminé à persévérer envers et contre tous dans un rôle de premier plan, manipulant sans remords la campagne électorale et éclipsant Hillary. Il semble que l'occasion de revendiquer son héritage et de se retrouver sous les feux des projecteurs - une occasion qu'Al Gore n'a pu lui donner - était trop belle pour la laisser passer, quelles qu'en soient les conséquences pour le pays. L'autre aspect ironique de cette situation est que les républicains l'encouragent clairement: la candidature de Hillary Clinton est probablement leur meilleure et peut-être unique chance d'unifier et de mobiliser leur parti avant les élections générales de novembre.

La très large victoire d'Obama lors du scrutin en Caroline du Sud et le désaveu correspondant des tactiques électorales des Clinton indiquent qu'il y a encore de l'espoir aux Etats-Unis - peut-être un aperçu de l'autre fin possible du DVD mentionné plus haut. Il est évident qu'Obama doit poursuivre dans cette voie et continuer à représenter l'espoir et l'optimiste qu'il a su si bien faire naître. Il ne peut contrôler que ses actes, et ses réactions. Même après la publication des résultats en Caroline du Sud, Clinton - Bill Clinton - comparait la victoire d'Obama à celle de Jesse Jackson dans les années 1980, dans le droit-fil de ses récentes tentatives de cataloguer Obama comme le candidat de la seule communauté noire, en dépit de la diversité de l'électorat ayant voté pour lui.

Qu'il l'emporte au final ou non, Barack Obama représente un mouvement tellement fondamental qu'il doit résister à la tentation de s'abaisser, de se joindre aux polémiques, même s'il doit clairement se défendre et défendre ses positions de manière digne et positive. L'espoir resurgit aux Etats-Unis. Lors du discours prometteur prononcé après sa victoire en Caroline du Sud, il a dit qu'il voulait faire passer «le même message, que nous soyons gagnants ou que nous soyons perdants - que de la multitude, nous ne formons qu'un, que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir».

Il n'est pas seul sur ce terrain, toutefois. Lors des récents débats, celui qui s'exprimait avec le plus de virulence contre le négativisme dans la campagne présidentielle n'était autre que l'homme de Hope, Arkansas.

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