La présidentielle aux Etats-Unis: des Américains de Suisse donnent leur avis. Et maintenant, voici les superdélégués
Andy Sundberg, secrétaire de l'Overseas American Academy, qui a participé dans les années 80 à l'élaboration du système des délégués et des superdélégués pour la désignation du candidat démocrate à la présidentielle, retrace l'évolution de ce processus depuis le XIXe siècle.
Depuis la première convention nationale du Parti démocrate à Baltimore, en 1832, le débat n'a jamais cessé sur la façon la plus appropriée et la plus équitable de choisir le candidat officiel à la présidentielle américaine. Cette désignation doit-elle être le fait des seuls dirigeants du parti et de quelques autres initiés influents, ou les délégués choisis au cours d'un processus public tout au long de l'année électorale doivent-ils prévaloir?
Bien que nombre des premières conventions aient été plutôt longues et disputées - il fallut même 103 tours de scrutin en 1924 pour finalement réussir à désigner un candidat officiel -, la démarche est devenue beaucoup plus consensuelle ces dernières années. De fait, la dernière Convention démocrate qui ait connu plusieurs tours de scrutin est celle de Chicago, en 1952, lorsqu'il en fallut trois pour choisir Adlai Stevenson.
Cette année, alors que le Parti démocrate prépare sa 47e convention, la procédure de sélection n'a pas encore abouti à une décision claire et la course est si serrée que l'élection des derniers délégués ne suffira pas pour que l'un des deux candidats l'emporte.
Alors comment sortir de l'impasse? La solution est entre les mains de délégués qui ne sont pas élus, mais qui bénéficient du droit d'assister à la convention et d'y voter grâce à leur statut de «superdélégués». L'apparition de «superdélégués» est le résultat de la longue et fascinante histoire du plus vieux parti politique des Etats-Unis, et peut-être du plus vieux parti de cette sorte dans le monde aujourd'hui.
Dès ses tout débuts, le parti a cherché à défendre les intérêts des démocrates américains ordinaires, pas uniquement ceux des riches et des puissants, et cela a naturellement contribué à son immense succès populaire. Les règles remontent à 1832, lorsque le Parti démocrate s'est organisé pour la première fois officiellement en tant que tel et a tenu sa première convention - pour choisir le candidat à la vice-présidence qui accompagnerait Andrew Jackson durant son second mandat.
A l'époque, ces règles étaient plutôt édictées par une élite et le contexte était très différent. Les Etats-Unis ne comptaient alors que 24 Etats, la population totale n'excédait pas les 14 millions de personnes, et à peine plus d'un million d'entre elles participèrent aux élections fédérales cette année-là. Donc seuls quelques rares privilégiés prenaient part au processus de sélection, et la plupart étaient des militants et des initiés influents. Le Comité national démocrate ne s'est formellement constitué qu'en 1848, et l'instauration d'une sorte de règlement usuel du parti s'est avérée difficile dès le départ.
Evidemment, au fil du temps, le mode de désignation du candidat à la présidence est devenu un sujet de dispute. Certains membres, qui consacraient beaucoup de temps et des montants considérables de leur fortune personnelle à l'élaboration et à la direction des infrastructures du parti, estimaient qu'ils méritaient un rôle déterminant dans ce choix. Ils pensaient également qu'il serait inadéquat et préjudiciable au bon fonctionnement du parti qu'ils aient à se battre contre d'autres membres de leur propre parti pour devenir délégués.
D'autres au contraire, et de plus en plus nombreux, étaient d'avis que la désignation du candidat démocrate à la présidence devait être ouverte à tous les membres du parti. A l'évidence, la question ne serait pas facile à trancher.
Ces deux conceptions très différentes atteignirent un paroxysme dramatique lors de la Convention démocrate de 1968. Cette année-là, des émeutes liées à la guerre du Vietnam et aux campagnes pour les droits civiques éclatèrent dans les rues, déclenchant une avalanche de plaintes et donnant naissance à un puissant mouvement populiste qui souhaitait sortir le processus de nomination des arrière-salles et le soumettre à une participation publique beaucoup plus ouverte.
Après un certain nombre de commissions, présidées par l'ex-candidat à la présidence George McGovern et quelques autres, il fut finalement décidé qu'il fallait trouver une sorte de compromis. La méthode consistant à désigner des délégués aux conventions de nomination du candidat à la présidence fut l'enjeu principal.
J'ai directement participé à ces débats au début des années 1980, lorsque j'étais président des Démocrates de l'étranger et, de ce fait, non seulement membre du Comité national démocrate mais également l'équivalent d'un président de parti d'un Etat: j'ai pu constater à quel point ces discussions devenaient âpres et compliquées.
Des idées, bonnes et mauvaises, étaient interminablement échangées dans la plus grande agitation. Finalement, un compromis fut trouvé, qui permettait une participation publique beaucoup plus active dans le processus de nomination tout en préservant également un rôle particulier aux dirigeants du parti.
Chaque nouveau cycle électoral semble pourtant apporter une nouvelle nuance à ce compromis. Aujourd'hui, l'importance des «superdélégués» s'est accrue car ces participants très spéciaux comptent pour environ 20% du total. Selon la définition actuelle, on trouve dans les rangs de cette élite tous les membres du Parti démocrate siégeant au Congrès (aussi bien à la Chambre des représentants qu'au Sénat), les gouverneurs démocrates, les anciens présidents du Parti démocrate, tous les membres du Comité national démocrate, ainsi que quelques autres préposés fédéraux et locaux, d'autres membres du parti, etc.
Ces «superdélégués» ne sont pas tenus de voter pour un candidat en particulier (contrairement aux délégués élus qui ont promis leurs voix à un candidat) et peuvent décider de leur vote au moment de la convention. Ils sont maintenant soumis à une pression grandissante pour dévoiler publiquement leur choix, qui va déterminer qui sera le gagnant de l'investiture du Parti démocrate cette année.
En novembre, lorsque l'élection présidentielle aura lieu, la population totale des Etats-Unis dépassera les 304 millions de personnes, dont environ 224 millions en âge de voter. Cinquante Etats plus le district de Columbia éliront notre prochain président. Il y a en outre plus de 3 millions de citoyens américains vivant à l'étranger qui peuvent voter dans leur Etat d'origine. Comme, en règle générale, seule la moitié environ des votants participe à l'élection, un des facteurs déterminants est de savoir si de nombreux abstentionnistes pourront être attirés aux urnes cet automne.
Que cette combinaison de délégués directement élus et de «superdélégués» au vote indécis soit ou non la bonne manière de nommer le candidat, c'est celle qui a été élaborée au long de plus de 170 ans d'une procédure politique dialectique unique en son genre. Vive la démocratie!
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