«Le Temps» inaugure aujourd’hui une nouvelle chronique signée Émilie Sombes, un pseudonyme pour cette chroniqueuse masquée. Elle portera un regard sans concession sur la politique genevoise dans la perspective d’élections qui s’annoncent disputées.

Eh oui! C’est bien à la «primaire» du parti du socialiste genevois que nous assistons, sous couvert de la 3e réforme de l’imposition des entreprises (RIE III).

Alors que le Conseil d’Etat genevois, unanime, a proposé un paquet équilibré avec des mesures compensatoires – et alors que ce même Conseil d’Etat représente plus de 75% du Parlement genevois – pourquoi ne voit-on pas, comme dans le Canton de Vaud, un large consensus se dégager?

Seuls deux des cinq partis gouvernementaux, MCG et PDC, sont signataires de la convention cadre proposée par l’Exécutif. PLR, Socialistes et Verts préfèrent quant à eux attendre le résultat de la votation fédérale le 12 février prochain pour affiner leur stratégie sur le volet cantonal de la réforme. Et ce en parfaite contradiction avec leurs magistrats.

Derrière la campagne autour de la RIE III, une primaire socialiste déguisée

Cette position cache, au sein du parti socialiste genevois, une autre situation. A près d’une année des élections cantonales, les candidats déclarés ou pas à la «primaire» socialiste doivent sortir du bois. Et la RIE III est l’objet idéal pour mener campagne.

Anne Emery-Toraccinta n’est pas Pierre-Yves Maillard. Elle n’a ni son envergure, ni son charisme, et son influence sur le parti est faible.

Car le PS genevois est divisé sur le sujet. Deux courants s’opposent, et bien malin celui qui pourra dire qui l’emportera. Sur la gauche, opposée à la réforme tant fédérale que cantonale, on trouve l’unique candidate déclarée qu’est la Présidente du parti, Carole-Anne Kast. Sur la droite, plutôt favorables à la feuille de route du Conseil d’Etat et à un accord consensuel, on retrouve deux poids lourds du parti que sont Sandrine Salerno et Thierry Apothéloz. Enfin, au centre, le député-chef de groupe Romain de Sainte-Marie, négociateur pour son parti lors de la table ronde, navigue entre ses deux fronts, cherchant dans quel sens le vent pourrait tourner.

Au-dessus de ces protagonistes se place la magistrate sortante Anne Emery-Torracinta qui devrait faire logiquement pencher la balance. Mais elle n’est pas Pierre-Yves Maillard. Elle n’a ni son envergure, ni son charisme, et son influence sur le parti est faible.

Lutte fratricide

Au total, ce sont cinq candidats, annoncés ou pas, qui vont se mener une lutte fratricide dans la perspective des élections du printemps prochain. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu, le 16 janvier, la dernière assemblée du PS genevois, lors de laquelle on a pu assister à une passe d’arme entre ces différents acteurs. En gelant toutes décisions sur le volet cantonal de la RIE III jusqu’au 12 février, Mme Kast a remporté la première manche.

Une femme intelligente, mais dogmatique

Femme intelligente mais dogmatique, elle axe sa campagne interne sur une logique d’opposition, de confrontation avec le gouvernement. Cela l’arrange. Dans la course qu’elle mène pour accéder à l’exécutif, elle sait que sa seule chance de réussite passe par la mise en échec du gouvernement, quitte à sacrifier sa magistrate, et en neutralisant ses potentiels adversaires à l’investiture que pourraient être Sandrine Salerno et Thierry Apothéloz. Elle a décidé de faire de RIE III l’enjeu de cette «primaire» du parti. Si la base la suit et s’oppose à la réforme, elle aura alors triomphé de ces adversaires et disposera de la légitimité nécessaire pour briguer un poste au Conseil d’Etat. A contrario, si le parti venait à soutenir un accord général sur la réforme, alors sa défaite serait consommée et ses espoirs évaporés.

C’est un pari risqué qu’elle prend. Risqué pour elle mais surtout pour le Canton. En privilégiant ses ambitions personnelles, elle met en péril un accord consensuel sur RIE III qui risque de déstabiliser Genève pour de nombreuses années.

Le peuple tranchera le 12 février

C’est finalement le peuple qui tranchera, le 12 février prochain, de l’issue de ce combat interne. En cas d’acceptation de la réforme au niveau suisse, le PS, conscient qu’il n’a pas l’appui de la population, devrait suivre une ligne plus consensuelle. Dans le cas inverse, soit un refus par les citoyens de la RIE III – au moins à Genève – alors Carole-Anne Kast sera confortée dans sa stratégie et pourra aborder avec sérénité les échéances électorales à venir. Au contraire des entreprises et des autorités cantonales.

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