Ma semaine suisse

Le printemps des seniors

Parlez avec un travailleur qualifié de 55 ans, au chômage; ses contacts avec divers bureaux de ressources humaines lui ont appris que ses chances de réinsertion sont faibles. Bien sûr, il y a des exceptions. Mais la règle est plutôt que les entreprises sont froidement égoïstes. Pour elles, un employé reste une charge, et les charges doivent être minimisées dans un contexte de concurrence toujours plus vive. A choisir entre un jeune bien formé et modérément payé, ou un senior en retard sur les nouvelles technologies et coûtant cher en salaire et charges sociales, le choix est en général vite fait.

Contre cette réalité, notre ministre de l’Economie, qui connaît le monde de l’entreprise puisqu’il fut lui-même patron, professe la bonne parole: il faut absolument encourager l’emploi de celles et ceux qui tutoient l’âge de la retraite. Son appel incantatoire est opportuniste. Comme par enchantement, l’expérience des anciens vaut de l’or dès lors que le peuple suisse a décidé qu’il faudrait à l’avenir moins puiser dans le réservoir de main-d’œuvre étrangère. Les plus de 55 ans devraient allumer un cierge au 9 février 2014.

Commençons par prendre acte que les Suisses sont déjà les brillants élèves de l’OCDE. Les deux décennies 1980 et 1990, quand des plans de restructuration mettaient des wagons d’employés à la retraite anticipée autour de 60 ans, et à des conditions favorables s’il vous plaît, cette période des retraites dorées est révolue. Depuis dix ans, les caisses de pension ont opéré une conversion au système de primauté des cotisations. Ce régime pousse les employés à rester actifs jusqu’à l’âge légal de la retraite, car le départ prématuré est sanctionné financièrement. D’ailleurs, depuis 2008, la courbe des retraites anticipées fléchit. A l’inverse, l’âge effectif d’entrée à la retraite tutoie la limite légale: en moyenne, 64,1 ans pour les hommes et 62,6 ans pour les femmes. Nous sommes champions du monde avec la Norvège et la Suède.

Ce seul constat devrait tempérer l’espoir de puiser dans le réservoir des seniors pour prévenir la pénurie programmée de travailleurs qualifiés. Sauf bien sûr à décider d’élever l’âge de la retraite pour tous. On y arrivera un jour, sans doute, mais le processus s’annonce long. Les signaux donnés ces dix dernières années par les travaux ouverts pour pérenniser le financement des retraites invitent à la modestie. La discussion, idéologique, polarise; elle a produit davantage de blocages que d’idées fécondes. Or le temps presse. Le retour aux quotas de permis pour étrangers, c’est pour 2017, avec l’objectif assigné aux autorités de réduire de manière significative le solde annuel migratoire.

Alors, comment concrétiser la belle intention, encourager le travail des seniors? Une étude de l’Office fédéral des assurances sociales (2012) donne quelques pistes. Elle a établi qu’aujourd’hui déjà un tiers des Suisses continue de travailler au-delà de l’âge de la retraite. Pas en priorité pour percevoir une rente plus élevée, mais d’abord pour le bonus social et l’envie de rester utile et en bonne santé. C’est prometteur.

Ce qui manque, nous apprend cette étude, c’est une culture de la souplesse. Les patrons et les divisions RH sont visés. Ils manquent de créativité pour répondre aux besoins des seniors. Favorables à une transition en douceur vers la retraite, nombreux sont ceux qui réduiraient volontiers leur temps de travail dès 60 ou 62 ans, en sachant qu’ils resteraient actifs, à temps partiel, jusqu’à 68 ou 70 ans. On manque aussi d’imagination pour adapter les cahiers des charges des employés à l’automne de leur carrière. Valoriser leur expérience pour promouvoir la transmission d’un savoir-faire aux plus jeunes semblerait naturel; c’est pourtant trop rarement le cas. Adapter la formation continue à la réalisation de mandats ciblés que les seniors assumeraient avec bonheur est aussi un terrain en friche. Parce que formation ne rime trop souvent qu’avec acquisition de compétences pour faire carrière dans l’organigramme.

Enfin, on ne veut pas – ou on ne sait pas – récompenser les entreprises prêtes à faire l’effort d’engager ou de garder des seniors. Pourquoi pas des avantages fiscaux ou des allégements de la part patronale aux cotisations sociales? Des labels de qualité? Des prix qui distinguent les bonnes pratiques? Le sujet n’est pas mûr. Domine le sentiment que l’Etat n’a pas de rôle à jouer: c’est la seule responsabilité des entreprises. Le ministre Schneider-Ammann a des paroles sages, mais il illustre cette impuissance.

Ce qui manque dans les entreprises,

c’est une culture

de la souplesse

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