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Le prix de la démocratie

OPINION. La frontière entre démocratie et dictature tend à s’estomper dans certains pays. La liberté d’opinion et le renforcement du droit international sont à défendre en priorité, explique Yves Sandoz, professeur honoraire de droit international humanitaire

La police turque est postée devant la prison de Silivri pendant le procès du personnel du journal Cumhuriyet à Istanbul, en Turquie, le 9 mars 2018. — © Erdem Sahin / EPA
La police turque est postée devant la prison de Silivri pendant le procès du personnel du journal Cumhuriyet à Istanbul, en Turquie, le 9 mars 2018. — © Erdem Sahin / EPA

Il n’y a pas de critères universellement reconnus pour définir la démocratie et il est utile aujourd’hui de poursuivre la réflexion entamée en Suisse au sujet de celle-ci à l’occasion de la votation du 4 mars.

Dès le moment où il y a élection du chef de l’Etat ou du gouvernement par le peuple, on admet ceux-ci, sur le plan international, comme les représentants légitimes de l’Etat concerné. On sait pourtant que la «dictature du peuple» n’était, et n’est encore dans quelques pays, qu’une manière de camoufler une pure dictature. Et, plus près de nous, l’on ne saurait s’abriter derrière la «sagesse» du peuple pour ignorer que la pression et la répression exercées sur les opposants, les journalistes et le pouvoir judiciaire dans des pays comme la Turquie, la Russie et bien d’autres ont un tel poids que la frontière entre démocratie et dictature tend à s’y estomper.

Presse indépendante

A quelles conditions peut-on considérer le résultat d’un vote populaire comme légitime? La liberté d’opinion et d’expression, donc une presse libre et indépendante, reste bien sûr la première de ces conditions et il faut la défendre en priorité dans les pays où toute velléité critique est étouffée. Mais l’on doit être plus ambitieux dans les vraies démocraties.

Les difficultés rencontrées par la presse écrite et la mainmise de grands financiers posent aussi la question d’une presse indépendante des pouvoirs économiques: il serait en effet naïf de penser que l’intérêt, ces dernières années, de politiciens milliardaires qui ne sont pas issus du milieu de la presse pour le rachat de médias non rentables n’a pour racine qu’une fibre philanthropique ou le souci de préserver une presse indépendante. C’est bien un véhicule pour leurs idées qu’ils cherchent insidieusement à s’acheter, comme ils le font déjà en finançant de coûteux tous-ménages. Le vote du 4 mars est une heureuse réponse à cet égard, même si reste ouverte la question du subventionnement de la presse écrite.

Droits massivement violés

Sur le plan international, l’on constate hélas dans de nombreux pays que ni l’indépendance des médias privés ni la neutralité des médias publics ne sont garanties. La pseudo-démocratie pratiquée dans ces pays ne saurait être un prétexte pour fermer les yeux et c’est bien avant tout à l’aune du respect des droits de l’homme – dont notamment la liberté d’expression et le droit à des tribunaux impartiaux – que l’on doit forger son jugement. Mais, cela fait, quelle attitude adopter à l’égard de pays dans lesquels ces droits sont massivement violés?

Les tristes expériences de ces dernières années nous ont fait comprendre que l’on n’impose pas la démocratie avec des bombes. Quant aux sanctions économiques, elles ne peuvent avoir d’effet que si elles sont largement suivies et elles ont hélas souvent davantage pour résultat de faire souffrir le peuple que d’infléchir les dirigeants. C’est donc bien d’abord sur la défense de certains principes, comme la limitation des mandats – essentielle pour limiter les abus de pouvoir et mise à mal tout récemment tant par Vladimir Poutine que par Xi Jinping – et surtout sur la défense et le renforcement du droit international qu’il faut mettre l’accent pour tenter de faire évoluer les choses.

Les menaces de retrait d’instruments des droits de l’homme proférées par des pays comme la Russie et la Turquie, ou la décision de se retirer de la Cour pénale internationale prise par les Philippines, dont le résident s’enorgueillit d’avoir commis les pires exactions, démontrent bien que le droit international, même si son efficacité est limitée, met les Etats devant leurs responsabilités et les oblige à rendre des comptes à la communauté internationale.

Rôle de la Suisse

Il est grave que, en totale contradiction avec le rôle de médiateur et de défenseur du droit international qu’a su jouer notre pays au fil des ans, l’on propose au peuple suisse de se faire le héraut et l’allié de tels pays en affaiblissant le droit international par le principe de la prévalence du droit national.

Il s’agit donc de ne pas se reposer sur les lauriers du refus de l’initiative dite «No Billag» mais d’à nouveau retrousser ses manches pour entamer sans attendre le combat contre l’aberrante initiative populaire au titre alambiqué «le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)»: il en va de l’image et du rôle de la Suisse dans le monde.