En février 2017, le peuple suisse rejetait par 59,1% des voix la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). Pressé par l’Union européenne, le Conseil fédéral s’est rapidement remis au travail et a mis sous toit une nouvelle mouture de la réforme. Ce Projet fiscal 17 (PF 17), sans envergure, n’est, à quelques détails près, qu’un copier-coller du projet refusé en votation.

C’est consciente des faiblesses du projet que la Commission de l’économie du Conseil des Etats a proposé, en mai dernier, de lier le PF 17 et le financement de l’AVS. Un coup de poker, qui repose sur une équation simple: pour 1 franc d’impôt en moins, 1 franc de plus sera versé à l’AVS. Un projet qui a passé la rampe, hier, au Conseil des Etats.

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Si l’on peut certes se réjouir qu’une compensation sociale ait été glissée dans la réforme, ce compromis passe comme chat sur braise sur le non-respect de la parole donnée par la Confédération. Depuis le début, elle promet en effet aux cantons une compensation des pertes fiscales à hauteur de 50%. Pour ce faire, elle propose d’augmenter la rétrocession de l’IFD aux cantons, en augmentant leur part de 17% à 21,2%. Pour fixer cette part et en l’absence de la détermination des cantons sur leurs stratégies en matière de baisses de taux d’imposition, la Confédération a retenu un taux d’imposition effectif total moyen de l’ordre de 16%. Or il apparaît aujourd’hui que le taux effectif moyen sera bien inférieur (13 à 14%). En clair? L’augmentation de la part de l’IFD à 21,2% ne permettra en aucune manière de compenser les pertes fiscales des cantons à hauteur de 50%.

Zurich et son taux fiscal agressif

En politique, il est pourtant essentiel de tenir ses promesses. A Berne, cela ne semble guère émouvoir les parlementaires, tout heureux d’avoir trouvé un compromis pour maintenir les finances du pays. Et ce, d’autant plus que les comptes 2017 de Confédération affichent un excédent de 3,8 milliards.

Le Conseil d’Etat genevois n’a jamais semblé prendre la mesure de ce qui se jouait à Berne, affichant une étonnante sérénité

Pour certains cantons, des solutions ad hoc se dessinent. Le maintien des allégements fiscaux sur les bénéfices provenant des brevets (patent boxes) permettra ainsi à Bâle de préserver son secteur pharmaceutique. L’introduction d’un nouvel instrument fiscal de déduction pour autofinancement, nouvelle sémantique de la déduction des intérêts notionnels (NID), permettra à Zurich de proposer un taux fiscal très agressif (allant jusqu’à 9 ou 10%), sans que les autres cantons puissent y répondre. Une très grave entorse aux principes fondateurs de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs cantonaux et communaux (LHID), qui permettra cependant à Zurich de sauver son secteur bancaire.

Et Genève dans tout ça? Il est le grand oublié de la réforme, le dindon de la farce, diront certain-e-s, qui rappellent que Genève est le second contributeur au titre de la péréquation financière intercantonale. Ici, pas de solutions miracles, pas de lapins sortis du chapeau. Les outils proposés par Berne sont parfaitement inadaptés au tissu économique genevois, composé en grande partie d’entreprises actives dans le négoce international et de multinationales. Pour limiter les pertes, Genève n’aura donc d’autres choix que de baisser son taux.

Attitude de Genève en question

Si l’attitude de la Confédération doit bien sûr être pointée du doigt, celle de Genève n’a rien à lui envier. Depuis le début, le Conseil d’Etat n’a jamais semblé prendre la mesure de ce qui se jouait à Berne, affichant une étonnante sérénité. Il y a quelques jours, il décidait même de changer de ministre chargé de la réforme. Les partis politiques, plutôt que de s’allier et se battre pour que les conditions-cadres de la réforme soient les meilleures possibles, n’ont cessé de se disputer sur une mouture genevoise qui, si la version du PF 17 du Conseil des Etats est votée, devra de toute façon être revue. Brillant.

Aujourd’hui, il est donc grand temps que Genève s’unisse pour défendre ses intérêts à Berne. Et qu’il pèse de tout son poids pour exiger de la Confédération qu’elle tienne sa parole, en relevant la part de l’IFD rétrocédée pour compenser les pertes à hauteur de 50%, comme elle s’y est engagée. Oui, car 21,2%, ce n’est définitivement pas assez pour Genève.

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