La protection civile est un important soutien en cas de catastrophe de toute nature, en complément aux partenaires feux bleus, à l’armée ou encore au personnel soignant. Depuis 2020, elle est fortement impliquée dans la lutte contre la pandémie par exemple dans les hôpitaux, dans les EMS ou en renfort de la campagne de vaccination. Dans le canton de Vaud, 67 000 jours de service ont ainsi été effectués durant la seule première vague et les retours des partenaires sont élogieux. Les astreints – dont le soussigné a l’honneur de faire partie – sacrifient leur temps sans compter et font preuve d’un grand engagement pour la patrie.

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Cette force est composée d’hommes de nationalité suisse déclarés inaptes à l’armée pour des raisons médicales, qui sont toutefois jugés aptes à la protection civile; ils n’ont aucun choix dans cette affectation. Malgré leur service, leur majorité se voit annuellement ponctionner une taxe fédérale d’exemption au service militaire, qui est marginalement réduite pour chaque jour de service. De nombreux astreints verront certes leurs taxes grandement réduites en raison de leurs nombreux jours de service en 2020 et 2021, mais le principe demeure et des décisions continuent d’être rendues.

Une «pirouette» en réponse

En 2009 déjà, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH, dans un arrêt Glor c. Suisse) a jugé que la taxe d’exemption violait les droits fondamentaux des astreints. Elle constitue une discrimination par rapport (i) aux suisses aptes à l’armée mais qui choisissent d’effectuer un service civil de remplacement et ne sont ainsi en principe pas redevables de la taxe et (ii) aux suisses doublement inaptes à l’armée et à la protection civile en raison d’un handicap plus grave, qui n’ont aucun service à effectuer et ne paient en principe aucune taxe.

La Suisse a répondu à cet arrêt par ce que certains qualifient de «pirouette», restreignant tellement son application qu’il n’a matériellement eu (quasi) aucun effet. En janvier 2021, la Cour EDH a confirmé que les mesures prises par la Suisse sont insuffisantes et que la taxe, dans son état actuel, viole toujours les droits fondamentaux des astreints. Cette décision peut encore être déférée devant la Grande Chambre de la Cour EDH par la Confédération, mais est déjà un signal fort malgré lequel la taxe d’exemption continue d’être perçue.

Le parlement devrait œuvrer dans le sens d’une abrogation pure et simple de la taxe d’exemption

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) a été édictée peu après la Seconde Guerre mondiale pour éviter que de telles atrocités ne se reproduisent. Il s’agissait pour le continent européen (sans lien avec l’UE) de s’imposer un standard minimum de l’Etat de droit et de la démocratie. La CEDH fait partie intégrante de l’ordre juridique suisse et prime le droit interne, son but étant précisément d’éviter les dérives d’états individuels.

La Cour EDH a été instituée pour assurer l’application et l’uniformité de l’interprétation de la CEDH. Sa jurisprudence doit être respectée, à défaut de quoi le système n’est qu’un dragon de papier et l’Etat de droit une utopie. Une restriction des droits fondamentaux par un Etat est en principe interdite mais peut être rendue licite si certaines conditions sont remplies, soit notamment qu’elle serve un but légitime et qu’elle soit proportionnée. Ce raisonnement est invoqué pour justifier les mesures promulguées contre la pandémie, mais ne justifie en rien la taxe d’exemption, ce que la Cour EDH a affirmé à deux reprises.

L’intervention de Lisa Mazzone

En ces temps de pandémie, il est indubitable que nous devons nous serrer les coudes et accepter certaines restrictions légitimes des droits fondamentaux. Néanmoins, il est de notre devoir civique de nous élever avec vigueur contre toute violation illégitime des droits fondamentaux en Suisse, en particulier lorsqu’elles visent des personnes qui luttent inlassablement contre la pandémie.

Ainsi, il convient de réagir sur trois fronts:

– Les astreints concernés doivent impérativement réclamer contre toute décision de taxation problématique. Cette procédure est gratuite et est le moyen de suspendre l’entrée en force des décisions, en attendant que l’Etat respecte ses obligations.

– La Confédération doit faire face à ses responsabilités: (i) en ne déférant pas l’affaire Ryser c. Suisse devant la Grande Chambre et (ii) en donnant immédiatement instruction aux cantons de suspendre toute taxation des personnes concernées.

– La taxe d’exemption est sur l’agenda du Conseil des Etats le 10 mars prochain. L’intervention pertinente de Mme Lisa Mazzone (Verts-VD) prédate l’arrêt Ryser c. Suisse et la portée de la discussion est donc a priori limitée. Malgré cela, le parlement devrait œuvrer dans le sens d’une abrogation pure et simple de la taxe d’exemption, dans toute la mesure où elle viole la CEDH.

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