Quelques vérités – en temps de post-vérité
Opinion
AbonnéEmmanuel Alloa, professeur d’esthétique à l’Université de Fribourg, observe à quel point mensonges et théories du complot prospèrent. Mais la vérité se réduit-elle vraiment à un ensemble de faits? Pour lui, vouloir rétablir une vérité avec un «V» majuscule, unique et monocorde, serait oublier qu’elle n’existe que là où elle se décline au pluriel

Cet été, «Le Temps» a confié ses espaces dévolus aux opinions à six personnalités, chacune sur un thème et une semaine. Le philosophe Martin Morend anime cette cinquième semaine, consacrée à son sujet de prédilection. Retrouvez toutes les contributions de ses invités.
«La vérité si je mens»: cette locution familière au sein de la communauté juive sépharade s’est peu à peu popularisée dans l’aire francophone, grâce à l’éponyme série de films à grand succès qui a contribué à sa fortune. Tronquée de sa seconde partie, qui renvoie au châtiment qu’est prêt à encourir le locuteur qui la prononce, «la vérité si je mens» est de ces expressions surprenantes que nous réserve le lexique langagier populaire. Non contente de rappeler que la vérité et le mensonge forment ce vieux couple inséparable, elle semble faire de celui-ci la condition de celle-là: il n’y a de vérité que s’il y a du mensonge. A ce compte-là, il va sans dire, nous n’avons jamais été aussi bien servis en termes de vérité, puisque le mensonge fait indéniablement florès. L’espace médiatique comme les réseaux sociaux sont inondés de fake news, de récits complotistes et de faits alternatifs. Sans en avoir jamais été absente, la mauvaise foi qui s’est généralisée dans l’espace de la communication politique ne semble plus émouvoir grand monde; le bobard bien ficelé flatte celui qui le partage.