Quelle conclusion en tirer et pourquoi reparler de ce scrutin après le dîner de l’épiscopat français au collège des Bernardins à Paris? D’abord parce que la phrase prononcée par Emmanuel Macron au début de son discours mérite mieux qu’un raccourci. «Nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord répond le président Français à Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. Pour cela, il n’est pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité.»
Logique de riposte
Le chef de l’Etat est donc bien dans une logique de riposte. Il sait que les catholiques de France demeurent sceptiques à son égard, lui, le banquier mondialiste, lui, le quadragénaire qui a osé, en campagne et en Algérie, parler de «crimes contre l’humanité» à propos de la colonisation, lui l’ex-ministre qui affirmait, dans les banlieues «il faut que les jeunes français aient envie de devenir milliardaires…»
Emmanuel Macron ne croit pas dans la laïcité intransigeante, qu’il estime coupé des réalités populaires
Or Emmanuel Macron a la foi rivée sur lui. Il a demandé le baptême à douze ans. Il a collaboré à la revue Esprit. Il a célébré à Orléans, en mai 2016, les fêtes de Jeanne d’Arc, dont il loue l’exemple. Il a ensuite, en septembre 2016, rendu visite en Vendée au chantre du souverainisme catholique Philippe de Villiers. Il se comporte, en meeting, comme un «télévangéliste». Il a su convaincre le chrétien-démocrate François Bayrou. Avant d’expliciter sa foi à l’hebdomadaire La Vie: «C’était un choix personnel, ma famille étant de tradition plus laïque. Je l’ai fait au moment de mon entrée à la Providence, une école de Jésuites d’Amiens (où enseignait Brigitte Trogneux, qui allait devenir son épouse). Après j’ai moins pratiqué. Aujourd’hui, j’ai une réflexion permanente sur la nature de ma propre foi. Mon rapport à la spiritualité nourrit ma pensée.»
Féru d’histoire, persuadé que les Français ont besoin d’un dessein politique enraciné dans la France éternelle, Emmanuel Macron ne croit pas dans la laïcité intransigeante, qu’il estime coupé des réalités populaires, à l’heure où «Dieu revient en force à tous les niveaux», phrase chère à l’écrivain Marek Halter. Il est, comme l’explique le sociologue Alain Touraine dans Macron par Touraine (Ed. de l’Aube): «sensible à des exigences élitistes, sans foi dans les partis politiques, mais croyant au spirituel. Un bon représentant du modèle intellectuel français dans une société dominée par une économie mondialisée.»
Réconcilier la France avec le capitalisme
C’est là que François Fillon revient dans sa ligne de mire. L’ex-candidat de la droite avait capitalisé sur la quête de valeurs conservatrices, au point de se retrouver presque l’otage des opposants au mariage pour tous. Fillon, surtout, avait théorisé l’idée d’une sorte d’alliance contre-nature entre une volonté de réformes économiques à la hussarde, et d’écoute du pays profond. Or Emmanuel Macron est convaincu qu’il peut, du côté de l’église catholique, retrouver le lien qui lui manque avec cette France provinciale, rurale, âgée et inquiète. De même qu’il courtise la communauté juive et se dit à l’écoute «d’un islam de France réorganisé».
La boucle présidentielle est bouclée. Macron le réformateur soucieux de réconcilier la France avec le capitalisme, a d’abord été comparé au huguenot et genevois d’adoption François Guizot (1797-1874), premier ministre de Louis Philippe. Mais dans la foulée de son modèle intellectuel, le philosophe protestant Paul Ricœur qui fit cause commune avec le catholique Emmanuel Mounier à Esprit, le président Français croit qu’un compromis doit être trouvé entre les deux identités: républicaine et chrétienne. Une version plus centriste, plus moderne, plus ouverte du sillon creusé par un certain... François Fillon.