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Qu’on épargne à Simone Veil les parallèles hasardeux et les basses attaques

Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad, réagit à notre éditorial du 1er juillet. Et condamne certaines réactions ignobles à la mort de cette figure historique

Simone Veil vote aux élections européennes le 10 juin 1979. — © PIERRE GUILLAUD
Simone Veil vote aux élections européennes le 10 juin 1979. — © PIERRE GUILLAUD

La disparition de Simone Veil suscite l’émoi en France et dans le monde, témoignant ainsi du parcours exceptionnel de cette femme qui aura marqué l’histoire. Dans un éditorial paru dans Le Temps du 1er juillet et intitulé «Dire la vérité en France, de Simone Veil à Emmanuel Macron», l’auteur cherchait probablement un angle original pour aborder la mort de Simone Veil. Ce dernier se permet d’écorner sa mémoire par des omissions, des approximations et des distorsions. Cet éditorial n’a pas manqué de choquer, à juste titre.

«[…] l’ex-adolescente déportée à Auschwitz, aujourd’hui pleurée par la République, siégea même au gouvernement dans les années 1970, aux côtés de Maurice Papon […]» D’entrée de jeu, un fait livré à l’emporte-pièce et complètement décontextualisé. Ainsi, il aurait peut-être été utile de rappeler que la responsabilité de Maurice Papon dans la déportation des Juifs n’a été prouvée que tardivement, et ce grâce à la publication de l’article du Canard enchaîné en 1981. Jusqu’alors, aucune rumeur ne circule sur Papon, qui s’est fait passer assez facilement pour un grand résistant et gaulliste de la première heure (décoré prestigieusement de la Croix de la valeur militaire, Croix du combattant volontaire de la Résistance et commandeur de la Légion d’honneur). Je vois mal ce que cette phrase est censée démontrer: que Simone Veil était au courant du passé de Papon à l’époque et qu’elle a choisi délibérément de rester au gouvernement?

Comment laisser passer pareilles allusions sur la moralité et l’éthique de Simone Veil?

L’auteur poursuit et se livre à des parallèles hasardeux et pour le moins ambigus. Evoquant la carrière et l’exemple de Simone Veil, il passe ensuite à la tragédie du génocide rwandais et aux secrets d’Etat français dans ce drame. Quelle ne fut pas ma stupeur en lisant la phrase suivante: «La responsabilité qui incombe aujourd’hui à Emmanuel Macron, à propos des terribles secrets d’Etat relatifs au génocide rwandais révélés ces jours-ci par la presse, mérite d’autant plus la comparaison que l’ancienne ministre de la Santé, qui légalisa l’IVG en 1974, était de retour aux affaires entre 1993 et 1995, lorsque l’humanité sombra au Pays des mille collines.» Simone Veil se retrouve propulsée ni plus ni moins au rang des complices du génocide rwandais!

Comment laisser passer pareilles allusions sur la moralité et l’éthique de Simone Veil? Se servir ainsi de sa mémoire pour évoquer des sujets de politique française contemporaine est pour le moins maladroit et attristant. Lorsqu’on écrit sur des sujets aussi sensibles et bouleversants, les mots ont un sens. Ils doivent être soupesés et sélectionnés avec soin.

S’agissant de toutes les victimes de génocides, flirter avec ce principe de concurrence des mémoires est toujours une pente glissante et hasardeuse. Un procédé qui ne conduit qu’à établir une hiérarchie entre les victimes; inacceptable pour la Cicad. Les Juifs ne réclament aucunement un quelconque statut de victime exclusive. Nous témoignons de notre histoire douloureuse et nous portons la mémoire des nôtres afin que jamais d’autres peuples ne puissent avoir à subir quelque chose de similaire. Ce combat, nous le menons main dans la main avec d’autres associations comme Ibuka mémoire et justice pour la mémoire du génocide tutsi. Je sais combien Simone Veil fut une combattante acharnée du droit, de la liberté et de la justice.

Logorrhée extrémiste

Simone Veil, malheureuse cible des maladresses d’un journaliste, une situation qui méritait une mise au point. Sans commune mesure avec les basses attaques dont elle est victime à titre posthume. En témoigne la logorrhée d’extrémistes tels Hani Ramadan ou Julien Udressy.

Hani Ramadan retiendra, comme il l’exprime sur Twitter «Simone Veil: hommages tant que l’on voudra pour cette rescapée du nazisme. Mais depuis 1975, combien d’enfants à naître ne sont pas nés?…» Coutumier des propos outranciers, il démontre à nouveau et sans ambages le créneau dans lequel il se situe. Des propos qui ne sont pas sans rappeler ceux prononcés par Henri de Lesquens, qui écrivait: «Je suis émerveillé de la longévité des «rescapés de la Shoah» morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées?»

Quant à Julien Udressy, le caricaturiste valaisan condamné pour avoir publié des dessins antisémites à la suite de l’intervention de la Cicad, il postait sur Facebook «Simone Veil est morte, bon débarras», suivi de smileys rieurs.

Juive, déportée, survivante, militante, engagée, féministe, Européenne. Au-delà des drames personnels qu’elle a vécus, elle a consacré sa vie à l’action publique. Son exemple a forgé ma conscience et mon engagement, comme tant d’autres citoyens qu’elle a su inspirer par sa grandeur. Cette femme exceptionnelle entre au Panthéon honorée par la République, elle qui a connu de près trois événements majeurs du XXe siècle: la Shoah, le combat pour la liberté et l’émancipation des femmes et la construction européenne.

Simone Veil. Plus qu’une page d’histoire, l’image de la Résistance, de l’engagement et de l’exemplarité.

Note de la Rédaction: L’éditorial du Temps posait la question du devoir de vérité sur le génocide rwandais, à la lumière de la disparition de Simone Veil qui, toute sa vie, a oeuvré pour que toute la lumière soit faite sur la Shoah. Telle était notre seule intention. Si des formulations ont pu heurter, nous prions nos lecteurs de nous en excuser.