Tout est question de point de vue quand il s’agit de l’annonce faite ce mercredi par le Conseil fédéral, «en cas de retrait désordonné» du Royaume-Uni de l’Union européenne d’ici au 29 mars (c’est le texte officiel suisse en anglais…), autrement dit en cas de Brexit dur, sans accord: «La Suisse va imposer des quotas pour les Britanniques souhaitant travailler sur son territoire», écrit le quotidien populaire britannique The Daily Express; tandis que le site anglophone de Suisse Le News a une lecture moins restrictive: «La Suisse autorisera des Britanniques à travailler en Suisse après le Brexit.»

Sans procédure d’approbation

Il faut lire l’article pour comprendre que ces permis pour Britanniques seront contingentés: 3500 d’ici au 31 décembre, soit 2400 permis B (de résidence longue durée) et 1100 L de courte durée (moins d’un an). Ce sont les cantons qui les délivreront sur une base trimestrielle, sans procédure d’approbation. Ces quotas ne concernent pas les 40 000 ressortissants britanniques déjà sur sol suisse, mais uniquement les nouveaux arrivants.

«Et voilà ce pour quoi on a voté! se désole une lectrice du Daily Express. Super. C’est fini, nos jeunes qui pouvaient découvrir la vie ailleurs, ils ne pourront plus travailler dans les stations de ski, dans les banques ou la finance…» «Seuls les riches ont les moyens d’aller en Suisse, donc ce n’est pas grave», plaisante une autre. «Voyons, des centaines de Britanniques travaillent pour le salon de l’auto de Genève!» rétorque un lecteur courroucé.

La mort et le chocolat

«La Suisse a toujours eu un système qui restreignait la venue des étrangers, complète un autre, ma société a dû prouver que personne ne pouvait occuper mon poste quand je travaillais là-bas. C’est vrai même pour les sociétés suisses.» «Les gens vont là-bas pour mourir mais nous, qu’est-ce qu’on importe? Du chocolat? Sans intérêt», tranche un autre. «Tout est dans le mot Travail, souligne un autre commentateur. Pas de permis pour les mendiants, pour les voleurs, pour les escrocs. La Suisse sait que c’est le Royaume-Uni qui s’en occupera…»

La conversation est vive aussi sur les réseaux sociaux des Britanniques déjà installés en Suisse. «Je suis surprise que les gens soient surpris. Les quotas ont toujours été la norme pour nous, ressortissants de pays tiers, note Claire Mahon, activiste des droits de l’homme néozélandaise installée à Genève, sur Facebook. Pourquoi ça serait différent pour un Royaume-Uni hors de l’UE? C’était ça, le privilège de faire partie d’un accord de libre circulation comme Schengen. Cela restera un privilège pour les Britanniques que d’avoir leur propre quota, alors qu’il n’y en a qu’un seul en commun pour les citoyens de 146 autres pays…» «Je suis sûre que cela va s’arranger, dit un autre, il y a aussi 35 000 Suisses qui travaillent et vivent en Grande-Bretagne.»

Des expats et des migrants

«Tu peux faire confiance à l’UDC pour faire appliquer ces quotas», lit-on aussi. «Tu crois vraiment qu’ils vont préférer des Européens de l’Est ou des Portugais sans qualifications […], soumis à aucun quota, à des Britanniques bien formés?» intervient un autre. S’attirant tout de suite cette réponse ironique et cinglante: «Qu’est-ce qui vous fait croire 1) que les expats britanniques sont nécessairement mieux formés que des migrants normaux du Portugal ou d’Europe de l’Est? et 2) que la Suisse a besoin de Britanniques et donc de quotas? Quelle est votre justification […]?» Lui-même s’attirant cette réponse: «Mais pourquoi parlez-vous d’«expats» pour les Britanniques, et de «migrants» pour les autres…» Tout un monde.

Les quotas s’appliqueront dès le 30 mars. Si l’UE et Londres trouvent un accord d’ici là, la libre circulation des personnes continuera de s’appliquer pendant une phase de transition, probablement jusqu’à la fin de 2020. Mais ensuite, sauf accord bilatéral, ces quotas s’imposeront.

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