C'est aussi le scrutin dont les médias ont le plus parlé en dehors de frontières helvétiques. Les Echos, par exemple, pensent que la «promesse de pouvoir s’épanouir davantage dans un monde où les robots assurent de plus en plus le travail» et l'«assurance de sécurité financière alors que le chômage menace» ne sont pas des arguments nouveaux. Mais si «le revenu universel est une idée ancienne, évoquée il y a plusieurs siècles déjà», celle-ci «fait écho à des problématiques actuelles». Le Télégramme de Morlaix les a résumées en quelques coups de crayon:
«Les Suisses, jamais sans le sou?» a ironisé à cet égard La Libre Belgique, dont les lecteurs ne sont pas tendres: «Les gens se sachant en sécurité d'un point de vue financier pourront se consacrer à ce qu'ils considèrent de mieux pour eux. La glande pour certains, le raffinement intellectuel pour d'autres.» Alors mieux vaut «prendre de l'avance sur ce qui se passera bientôt partout. Avec l'évolution technologique, il y aura de moins en moins de travail, sauf de proximité.» Mais «les paresseux resteront paresseux et les travailleurs resteront travailleurs». Et les autres? Ceux qui sont «malades ou handicapés», par exemple?
Give people a chance to follow dreams? Help sick/disabled people? Let people afford basic necessities? I'm all for #Grundeinkommen #NotMeUs
— Tom | cmdrshepn7 (@shepardcmdrn7) 5 juin 2016
Aussi généreuse soit-elle, donc, «l’idée qu’on puisse recevoir de l’argent sans contrepartie apparaît inconcevable aux yeux d’une grande majorité des Suisses, qui portent aux nues la valeur travail», lit-on sur le site de la chaîne de TV France 3. Où un internaute se lâche: «Il est heureux que le règne d'improductivité socialo-communiste prenne bientôt fin, car ils seraient capables de faire adopter une telle ineptie inique.» Alors, «que cette idée circule en Occident donne raison à Marx qui, il y a 170 ans, avait émis l'hypothèse que le communisme s’imposerait dans les pays les plus développés», écrit le quotidien tchèque Lidové noviny. Ce à quoi répond indirectement une députée suppléante au Grand Conseil valaisan:
#chvote #RBI Bravo les fous ! “Parce que les fous ouvrent des voies qu'empruntent ensuite les sages."
— Marie P Bender (@mariebender) 5 juin 2016
On pourrait tout de même faire valoir qu'en Suède et dans d’autres Etats-providence, l’aide sociale est déjà très généreuse, avec l'impact fiscal que l'on sait. Mais cela «n’a pas grand-chose à voir avec les rêves romantiques», rétorque le Sydsvenskan de Malmö, qui est bien placé pour le savoir. «La notion de salaire de base peut, par euphémisme, être un moyen pratique de se débarrasser de tous ceux qui ne seraient prétendument capables de rien, qui ne seraient pas suffisamment productifs». Mais «la majorité des gens ont besoin de la structure inhérente au travail, et ils apprécient le sentiment d’être utiles et de participer».
"Pionnier" ou "passionnant", le #RBI suisse fait réagir la presse étrangère: https://t.co/kQYvLmAFuA
— RTSinfo (@RTSinfo) 5 juin 2016
RTS Info a aussi pointé (ci-dessus) quelques articles de la presse étrangère. Elle relève que pour l’Independent britannique, le refus des Suisses «ne marque par pour autant la fin de cette idée en Europe». Mais si les Suisses ont dit «non», lit-on dans les commentaires à son article, c'est qu'«ils craignaient» surtout «une attraction massive de migrants». Effet collatéral? Reste que pour l’éditorialiste de 24 heures, «l’intérêt et la dispute, au sens littéraire du terme, qu’a suscités» cet objet «montrent qu’une partie de la population, souvent jeune, ne croit plus aux vertus de la société telle qu’elle est organisée aujourd’hui».
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Mais par quoi «remplacer le système de valeurs qui place le travail au cœur de la reconnaissance individuelle»? De fait, «le rejet d’hier ne dit rien du débat de demain». Alors, «avant de jeter le bébé et l’eau du bain», lit-on encore sur le blog «L'économie en clair» de L'Hebdo, «on peut faire preuve d’un peu de circonspection»: «On pourrait peut-être déjà commencer par combler certaines des lacunes les plus criantes, en introduisant une assurance perte de gain en cas de maladie pour les salariés, sur une base comparable aux prestations de l’assurance accident. De même, on pourrait songer à trouver une solution pour les indépendants qui n’ont aucune protection en cas de chômage s’ils ne se sont pas constitués en Sàrl ou SA.»
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Toutes sortes d'idées circulent aussi avec passion sur le site www.schwaab.ch et sur la page Facebook qui l'escorte, celle du conseiller national socialiste vaudois Jean Christophe Schwaab, celles qu'il a déjà largement développées pendant la campagne. Ce qui n'empêche pas qu'on lui réponde vertement: «Tu es pour du totalitaire et tu ignores la créativité individuelle. Au contraire, tu veux accentuer le capitalisme, l’humanisme et le matérialisme, au détriment de la fraternité.»
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Et ce n'est pas fini, y compris de drôles de statistiques comme argument: «Comment peux-tu nous prendre ainsi pour des imbéciles: c’est seulement 4 personnes sur 10 qui ont voté. De celles-ci, c’est près de 2 personnes sur 5 qui ont été favorables au RBI. Tes projets tout comme ceux des autres partis n’ont aucune envergure pour stimuler l’imagination créatrice. Tout au plus, tu nous proposes un programme pour dormir pendant qu’une élite cultive ses avantages immérités. La politique, à ce niveau, c’est bon pour ceux qui craignent le monde et doutent de Dieu.»
C'est vrai qu'on ne l'avait pas entendu dans le débat, celui-là.