C’est la pire récession de l’histoire du pays. Une contraction du PIB de 7,2% entre fin 2014 et début 2017. Un revenu moyen par habitant en chute libre. Le chômage qui atteint un niveau historique (13,1% des actifs seront touchés à la fin 2017). Des ménages et des entreprises lourdement endettés. Un Etat qui ne parvient pas à réduire son déficit et laisse filer une dette publique extrêmement coûteuse.

Au Brésil, un désastre économique a suivi les années flamboyantes du Président Lula (2003-2010) et le règne écourté de Dilma Rousseff (2011-2016). Pourtant, l’ascension du géant sud-américain paraissait irrésistible. Si l’on écarte les scandales politico-financiers qui ont marqué la fin du gouvernement Rousseff, quelles sont les causes de la chute du géant qui était l'étoile montante du monde émergent?

Un choc extérieur favorable

Avec le cycle de hausse des prix des matières premières (2004-2010), le pays a bénéficié d’un énorme choc extérieur favorable. Les termes de l’échange (rapport entre les prix des produits exportés et le ceux des importations) connaissent alors une amélioration exceptionnelle. Cet enrichissement temporaire associé à la croissance du marché intérieur (facilitée par la politique sociale et d’accès au crédit pour des ménages les plus modestes engagée par Lula) rendent le Brésil très attractif pour les investisseurs étrangers. Le pays parvient pendant quelques années à capter à l’extérieur un montant inédit de ressources financières. Les réserves en devises augmentent considérablement. La monnaie nationale se valorise par rapport au dollar. En moyenne, de 2003 à 2010, la croissance a atteint 4% par an, un saut limité mais significatif par rapport au rythme de 2,5% par an difficilement dépassé sur la période antérieure.

Aucune réforme majeure de Lula

Mais le Brésil de Lula ne profite pas de cette période pour s’attaquer aux fléaux anciens qui empêchent une amélioration forte, durable et plus équitable des revenus. Aucune réforme majeure n’est engagée pendant ces «années glorieuses» pour moderniser les services publics, réduire le poids d’un Etat obèse, investir massivement dans l’enseignement de base (et donc améliorer la qualification de la main-d’œuvre), améliorer le système de transport, abaisser la pression fiscale, ouvrir une économie très fermée aux échanges extérieurs ou revoir une législation du travail rigide et obsolète. L’Etat omniprésent finance un déficit croissant par un endettement coûteux, propulsant les taux d’intérêts pratiqués hors crédit subventionné à des niveaux stratosphériques.

Pénalisées par des charges fiscales et financières excessives, par un environnement juridique inadapté et par un système de communications dégradé, les entreprises manufacturières affrontent en plus une politique de change pénalisante. Leur compétitivité se dégrade. Le Brésil se désindustrialise. Il n’est pas préparé pour entrer de plain pied dans la nouvelle révolution technologique en cours.

En 2008-2009, la crise financière annonce la fin du cycle de hausse des prix des matières premières. Le gouvernement Lula puis l’administration de Dilma Rousseff croient alors disposer d’une recette miracle pour maintenir la croissance et contenir l’essor du chômage: il suffit de doper en permanence la demande. L’Etat subventionne massivement le crédit et force les banques publiques nationales à multiplier les prêts à taux bonifiés.

Une Dilma Rousseff obstinée et doctrinaire

La gauche au pouvoir applique les mesures hétérodoxes, utilisées partout dans le monde sur une courte période, pour faire face à un cyclone global. Mais au Brésil, ces mesures conjoncturelles exceptionnelles sont maintenues une fois le cyclone apaisé. Fascinés par le succès d’une politique anticyclique appliquée sur quelques mois (le Brésil connaît une croissance de 7,5% en 2010), les responsables gouvernementaux continuent à irriguer les circuits financiers comme si l’injection permanentes de nouvelles liquidités suffisait à transformer une économie vulnérable en bolide de compétition. Le protectionnisme commercial est renforcé. Isolée de la concurrence internationale, bénéficiaire de prêts subventionnés et d’exemptions fiscales généreuses, l’industrie nationale est censée investir et donc garantir la croissance.

Erreur de diagnostic et de traitement. A partir de 2011-2012, les entreprises s’inquiètent de la dégradation des finances publiques, de l’instabilité des prix et des errements d’une politique économique très dirigiste. Les familles très endettées freinent leur consommation. Obstiné et doctrinaire, le gouvernement Dilma Rousseff maintient le cap: l’augmentation des dépenses publiques doit générer la croissance du PIB. Pourtant, le rythme de l’activité s’affaisse. L’investissement privé piétine. Les déficits et la dette publique s’aggravent. L’inflation s’emballe.

L’Etat s’acharne néanmoins à doper à coups de subventions et d’exemptions fiscales un appareil productif affaibli comme si les anabolisants étaient des remèdes efficaces à l’anémie. Face à cet acharnement, les marchés perdent confiance. Les entreprises industrielles sont incapables de répondre par une offre croissante et compétitive à l’accroissement incessant et provoqué de la demande intérieure. Dès 2014, la croissance se ralentit alors que les déséquilibres de l’économie (inflation galopante, dérive des finances publiques, comptes extérieurs dans le rouge) s’amplifient. Le pays entre en récession.

Si l'équipe Temer échoue...

Depuis quinze ans, les gouvernements de gauche ont ignoré les faiblesses structurelles de l’économie brésilienne. Le pilote a fait comme si l’état de son véhicule et celui de la route permettaient de rouler durablement à vitesse élevée sans courir des risques d’embardées, d’échauffement du moteur ou de capotage. Tous ces problèmes sont apparus brusquement ensemble en 2014. L’accident grave est arrivé.

Depuis mai 2016, le gouvernement du Président Temer, mis en place après la destitution de Dilma Rousseff, tente de relancer le chantier abandonné des réformes. Si la nouvelle politique économique mise en œuvre (stabilisation des prix, retour à l’équilibre budgétaire, ouverture du pays, privatisations, relance de l’investissement) réussit, la récession actuelle deviendra un mauvais souvenir dès 2018. Si l’équipe Temer échoue, le Brésil s’engagera pour de nombreuses années dans une spirale d’appauvrissement.

* L'auteur est enseignant, consultant et dirige la société Agrobras Consult à São Paulo

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