Opinion
Réintégrer les programmes de recherche européens est crucial pour l’avenir, estime Manuel Tornare, conseiller national socialiste de Genève

En matière de recherche scientifique, la Suisse fait aujourd’hui partie des nations les plus performantes. Avec leurs interactions mondiales, leur renommée et leurs conditions d’enseignement et de recherche attrayantes, nos hautes écoles représentent souvent un argument de taille lorsqu’une entreprise internationale sélectionne un lieu d’implantation. Cette place en «Ligue des champions», durement acquise, n’est cependant pas une réalité éternelle, et le rôle que nous avons joué jusqu’à présent n’est pas compatible avec un repli sur soi.
Le gel des relations Suisse-UE
Le gel des relations Suisse-UE après l’acceptation de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» du 9 février 2014 a frappé de plein fouet le monde universitaire. En guise de première réaction, l’Union européenne a suspendu les négociations sur l’association de la Suisse au programme de recherche Horizon 2020 et coupé l’accès aux fonds de recherche européens. Processus indolore pour l’Europe, il a été douloureux pour la Suisse.
Au prix d’intenses efforts diplomatiques, la Suisse a pu obtenir, à partir du 15 septembre 2014, une association partielle au programme Horizon 2020. Cela signifie que la Suisse peut participer au même titre que les pays membres de l’UE au programme partiel «Excellence scientifique»; en revanche, elle participe à de nombreuses parties du programme en tant qu’Etat tiers seulement, en finançant elle-même les coûts encourus. Cet accord provisoire et partiel arrivera à échéance le 31 décembre 2016.
L’affaiblissement de la place scientifique suisse
L’exclusion temporaire et surtout l’incertitude qui pèse sur le statut des participants suisses à des projets dans le cadre de l’association partielle ont toutefois déjà affaibli la place scientifique suisse dans la compétition internationale. Un premier bilan indique que la participation des scientifiques établis en Suisse est en recul, tant en 2014 qu’en 2015. La comparaison des financements captés par les hautes écoles suisses lors du septième programme européen (2007 à 2013) – auquel la Suisse était pleinement associée – avec ceux obtenus jusqu’ici dans Horizon 2014 à 2020 montre que l’aide européenne aux institutions helvétiques a chuté de moitié, passant de 4,2 à 2,2% et le taux de projets assumés par une haute école suisse a reculé de 3,9 à 0,3%! Les chiffres montrent que les groupes de recherche suisses ne sont plus considérés comme des partenaires de projets fiables, et les candidats ambitieux réfléchissent deux fois avant de postuler pour un emploi en Suisse. Ce bilan intermédiaire est alarmant et traduit le climat d’incertitude auquel sont confrontées les hautes écoles après la votation du 9 février.
Ce qui est crucial pour l’avenir
Réintégrer les programmes de recherche européens est crucial pour l’avenir, si nous voulons garder notre position de leader dans le domaine scientifique. La réintégration complète de la Suisse à Horizon 2020 est liée à la ratification de l’extension à la Croatie de l’accord sur la libre circulation des personnes et à la résolution du différend sur la libre circulation des personnes. En signant l’accord en question avec la Croatie en mars 2016, le Conseil fédéral a réaffirmé sa volonté de poursuivre la pleine réintégration de la Suisse aux programmes de recherche européens. La balle est maintenant dans le camp du parlement. Si l’enjeu factuel du dossier avec la Croatie est mineur, voire dérisoire, le signal politique qu’il véhicule est d’une envergure majeure.
En cas de non-ratification du protocole avec la Croatie, et contrairement à ce que disent certains, il n’y a pas de plan B pour sortir de l’impasse. Sans les accords de recherche avec l’Europe, nous aurons de petites universités de province honorables certes, mais il faudra renoncer totalement au rayonnement scientifique, car les meilleurs universitaires se tourneront ailleurs.
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