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Reconstruire Genève avec une nouvelle constitution

Murat Alder, juriste, membre de l'association «Une nouvelle constitution pour Genève», explique pourquoi la République et canton a besoin d'un contrat social mieux adapté.

La Constitution genevoise est à l'image de la situation politique tendue, pour ne pas dire crispée, de notre République et canton. Une lecture générale de ses chapitres, articles et alinéas montre combien Genève manque de repères, de valeurs et de vision.

Les résultats des élections de l'automne dernier, qui ont encore davantage polarisé l'échiquier politique, sont symptomatiques des sérieuses préoccupations des différentes franges de la population. Les voix de la gauche de la gauche, additionnées à celles de la droite de la droite, dépassent 30%. Bien des citoyens ont fait ce choix par pure protestation, et les onze mois qui nous séparent des prochaines élections municipales ne suffiront sans doute pas à apaiser leurs craintes, souvent légitimes, mais souvent dénigrées. A cela s'ajoute une réconciliation peu probable de la gauche et de la droite traditionnelles, malgré la volonté affirmée et sincère du nouveau gouvernement genevois de prendre par les cornes ces trois taureaux en furie que sont la dette publique, le chômage et la pénurie de logements.

Genève, de par sa situation géographique particulière, est souvent assimilée à la France, et tel semble parfois être le cas en ce qui concerne son paysage politique. Fort heureusement, notre canton connaît et pratique la démocratie directe, une institution dont notre voisin manque cruellement, comme on a pu le voir une fois de plus lors de la crise du Contrat première embauche. La démocratie directe permet notamment au peuple de prendre une part active et déterminante dans la procédure de révision totale de la Constitution.

Mais au fait, qu'est-ce qu'une constitution? A quoi cela sert-il? Bien des auteurs, juristes, politologues, professeurs, chercheurs et experts ont donné une définition de ce texte suprême. Tous s'accordent à dire qu'il n'y a pas d'Etat sans constitution, qu'il n'y a pas d'Etat sans société et qu'il n'y a pas de société sans valeurs. De surcroît, une constitution ne peut être tournée que vers l'avenir, en y gravant pour aussi longtemps que possible, l'ensemble de tous ces acquis et ces biens pour lesquels des hommes et des femmes ont donné de leur sang par le passé. Ces acquis et ces biens, ce sont la paix et l'indépendance, les libertés et l'Etat de droit. Enfin, une constitution doit donner, aujourd'hui plus que jamais à Genève un cadre solide aux relations entre l'Etat, la société et ses membres.

Une comparaison avec d'autres lois fondamentales cantonales suffit pour mettre en évidence le défaut de substance de la Constitution genevoise. Ce texte, en sa forme actuelle, s'apparente à une peinture d'un très mauvais goût que l'on a peur d'accrocher sur un mur de salon. Par exemple, l'absence d'un catalogue clair et complet de droits fondamentaux prouve que Genève, siège du nouveau Conseil des droits de l'homme, a tout à repenser et à réapprendre en termes de consécration constitutionnelle de ces droits. Ce n'est là qu'un petit exemple, mais suffisamment révélateur de la situation.

Evidemment, il ne faut pas croire qu'une nouvelle charte fondamentale pour notre République et canton serait capable de mettre un terme aux différends entre les nombreux partis politiques genevois. Pluraliste, notre société est riche de courants les plus divers. La confrontation d'opinions et d'idées diamétralement opposées est une chose saine. La façon dont tout un chacun conçoit l'Etat, la société et l'économie jouera d'ailleurs déjà un rôle lors de l'élection des membres de l'assemblée constituante, chargée de rédiger le nouveau texte.

Cette élection aurait lieu au scrutin proportionnel, avec un quorum de 3% au lieu des 7% applicables à l'élection du Grand Conseil, ce qui donnerait à cette assemblée constituante une plus grande représentativité du peuple que notre parlement. Elle disposerait de quatre années pour préparer un nouveau texte constitutionnel, qui ensuite serait soumis au vote des citoyens du canton.

Un projet purement étatiste, ou qui à l'inverse ferait la part trop belle à l'économie privée, n'aurait aucune chance de franchir cette dernière étape. De même, les innovations trop fantaisistes pourraient faire échouer le processus lors de l'épreuve du vote du peuple. De ce fait, une constitution doit se montrer fédératrice, elle doit être en mesure de rassembler autant que possible les citoyens autour de certaines valeurs et certains principes de base. Dans cette perspective, une nouvelle constitution genevoise retrouverait la place et le rôle de texte suprême que la Constitution actuelle a totalement perdus en termes politiques et psychologiques.

Genève, qui a vu naître le philosophe Jean-Jacques Rousseau, a besoin d'un nouveau contrat social. C'est pourquoi il faut poser, dès que possible, une question très simple aux Genevoises et aux Genevois: «Voulez-vous une nouvelle constitution pour Genève?» Dans l'affirmative, une assemblée constituante pourrait rapidement être élue avec pour mission de reconstruire Genève et ses institutions, et de rassembler les citoyens du canton, d'ici au début de la prochaine décennie.