Redonner à l’énergie hydraulique la force qu’elle mérite
Dès ce jeudi, le Conseil national consacrera cinq demi-journées à la nouvelle stratégie énergétique de la Suisse. Rares sont les projets de loi qui ont suscité autant de débats. Cela démontre à quel point le sujet est complexe et important. L’approvisionnement électrique de la Suisse, qui représente 25% de la consommation énergétique du pays, est l’un des piliers de notre économie. En 2010, Swissgrid, la société nationale pour l’exploitation du réseau, a estimé les coûts d’un black-out à environ 3 millions de francs par minute, soit 4,3 milliards de francs par jour. Garantir la sécurité de l’approvisionnement est donc un devoir.
Avec la Stratégie énergétique 2050, la Suisse s’apprête à renoncer aux 40% d’électricité aujourd’hui fournis par les centrales nucléaires. L’énergie hydraulique, avec sa part de 59% de la production nationale, soit 36 milliards de kWh pour une consommation totale de 60 milliards de kWh, est appelée à devenir la seule vraie colonne vertébrale de l’approvisionnement électrique suisse. Une perspective réjouissante au vu de ses nombreuses qualités: renouvelable, flexible, indigène et stockable en grande quantité.
Le parc de centrales hydroélectriques suisses, composé de 579 centrales, a une moyenne d’âge de 30 à 50 ans. La plupart de ces centrales sont arrivées à mi-vie. Des investissements conséquents sont nécessaires pour les rénover et maintenir des conditions d’exploitation qui répondent aux exigences de sécurité et de performance: entre 2 et 3 milliards de francs ces cinq prochaines années pour l’ensemble du parc. Et ce montant ne prend pas en compte les investissements dans les nouvelles installations, pourtant indispensables à la réalisation des objectifs de la Stratégie 2050. Celle-ci prévoit une production annuelle de 2 à 4 milliards de kWh supplémentaires pour l’énergie hydraulique.
La baisse de la demande en électricité en Europe, les prix bas du charbon et des certificats d’émission de CO2 à 5 euros/tonne, ainsi que les subventions massives accordées aux nouvelles énergies renouvelables ont créé des surcapacités de production et par là une chute du prix du kWh sur les marchés européens – marchés de référence pour les producteurs suisses. Ces prix très bas font le bonheur des distributeurs d’électricité, non producteurs, qui s’approvisionnent à des conditions historiquement favorables. La production hydraulique indigène, avec un prix de revient moyen entre 6 et 7 centimes par kWh, a perdu sa compétitivité. C’est malheureusement la réalité, même si un récent rapport publié par l’Office fédéral de l’énergie arrive à des conclusions différentes et pour le moins surprenantes.
Dans ce contexte, comment restaurer la rentabilité de la force hydraulique? Les producteurs d’électricité doivent encore diminuer les coûts de production. Ces charges maîtrisables représentent 30% du prix de revient du kWh hydraulique. Pour le reste, 40% sont des taxes publiques et 30% des frais de financement et d’amortissement peu compressibles. Aucune autre source d’énergie n’est imputée de 40% de taxes publiques. Le marché ouvert des producteurs ne permet plus de transmettre ces coûts aux clients finaux. Seules les sociétés distributrices ont cette possibilité. Les règles du jeu et les conditions-cadres du marché de l’électricité doivent être revues. Les solutions existent, discutons-les.
La diminution des émissions de CO2 pour protéger le climat et la libéralisation des marchés de l’électricité sont les objectifs auxquels devait répondre la politique énergétique européenne mise en place au début du XXIe siècle. Quinze ans plus tard, nous constatons que ces objectifs ne sont de loin pas atteints, au contraire. D’une part, bien que les nouvelles énergies renouvelables aient été massivement subventionnées, la production d’électricité à partir du charbon n’a jamais été aussi importante. D’autre part, le comportement protectionniste des Etats membres de l’UE va à l’encontre de la volonté de Bruxelles de créer un marché intérieur unique. Ces contradictions ont des conséquences économiques graves: un coût de plusieurs centaines de milliards d’euros pour l’Europe, payés par les consommateurs et les propriétaires des entreprises électriques, soit les contribuables.
43% de la puissance électrique installée en Allemagne est subventionnée et fait dès lors partie d’un marché (re)régulé. A l’évidence, cela crée une distorsion par rapport aux autres sources d’énergie comme l’hydraulique qui sont, elles, exposées aux références d’un marché concurrentiel.
Seul un interventionnisme très prononcé des gouvernements a permis la cohabitation de ces deux systèmes: des grandes unités de production centralisées réclamant des investissements élevés à amortir sur 60 à 80 ans d’une part, des petites unités décentralisées avec des cycles d’investissement de 20 ans et moins d’autre part. Un marché ouvert et concurrentiel d’un côté, et de l’autre un marché régulé avec une énergie consommée en priorité sans passer par les marchés. Est-ce que cet interventionnisme introduit la fin de la libéralisation des marchés ou est-ce simplement le témoin d’une période transitoire vers les marchés libéralisés pour toutes les sources d’énergie at arm’s length? Ne pas répondre clairement à cette question coûte très cher aux économies publiques suisses et européennes.
La Suisse est en train de concevoir l’architecture de son avenir énergétique et électrique. Apprenons des erreurs faites en Europe. Mettons toutes les énergies renouvelables au même régime, protégeons notre climat moyennant des sources d’énergie sans émission de CO2, fixons les conditions-cadres et les règles du marché de manière cohérente. Ce seront les meilleurs moyens pour disposer d’une stratégie énergétique suisse digne de ce nom et pour redonner en même temps à l’énergie hydraulique la force qu’elle mérite.
Directeur Production, Alpiq Holding
Apprenons des erreurs faites en Europe et mettons toutes les énergies renouvelables au même régime
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