Réforme Swissness: une belle croix pour un beau produit
L’invité
Le paquet Swissness – consensus très made in Switzerland – est le résultat de l’arbitrage entre le besoin de protection des consommateurs et les intérêts de l’industrie. Cette réforme est désormais définitive et entrera en vigueur le 1er janvier 2017

La croix suisse est devenue un formidable outil commercial. Selon la dernière étude sur le sujet, publiée cet été par l’Université de Saint-Gall, la Suisse – après avoir été longtemps en tête – arrive seconde au classement mondial de l’appréciation globale des produits et des prestations (juste après l’Allemagne). Les consommateurs helvétiques et étrangers sont donc disposés à payer plus pour un produit ou un service estampillé suisse. Selon les derniers chiffres, la plus-value atteindrait 5% à 20% pour les biens de consommation, 50% pour le lait ou les produits cosmétiques, voire 100% pour les montres de luxe.
Ces perspectives financières ont incité de nombreuses entreprises à se servir de la Suisse comme d’une marque, afin de renforcer leur renommée (ce qu’on nomme le «co-branding»). Cependant, les abus se sont également multipliés: l’on se souviendra notamment de cette grande marque helvétique qui avait apposé une croix suisse sur les emballages de ses casseroles… produites en Chine. Afin de mieux encadrer et de moderniser l’usage de la Suisse comme marque, notre législateur planchait depuis 2006 sur une révision du droit actuel, jugé insatisfaisant.
Le paquet Swissness – consensus très made in Switzerland – est le résultat de l’arbitrage entre le besoin de protection des consommateurs et les intérêts de l’industrie. Cette réforme est désormais définitive et entrera en vigueur le 1er janvier 2017. Un délai de deux ans sera accordé pour écouler les stocks constitués avant cette date. Selon les derniers sondages, une entreprise sur deux n’aurait toutefois encore adopté aucune stratégie liée à Swissness. Pour celles-ci, une réflexion s’impose.
N’est pas suisse qui veut
Cette nouvelle législation (qui englobe deux lois et six ordonnances) est relativement complexe. Le niveau de «suissitude» nécessaire pour pouvoir revendiquer une origine suisse diffère selon le type de produit ou de service. Les principes généraux sont les suivants:
Un produit naturel sera considéré comme suisse s’il possède un lien fort avec le sol helvétique. Par exemple, pour les légumes, il s’agira du lieu de récolte; pour la viande, du lieu ou les animaux ont passé la majeure partie de leur vie.
Pour les denrées alimentaires (du chocolat par exemple), deux conditions devront être réalisées: il sera premièrement nécessaire que 80% au moins du poids des matières premières ou des ingrédients qui les composent proviennent de Suisse (100% pour le lait). Il faudra également que l’étape de production essentielle ait lieu en territoire helvétique (par exemple la transformation du lait en fromage). Ces conditions connaissent toutefois de nombreuses exceptions et/ou précisions. Pour ne citer qu’un exemple: les matières premières qui n’existent pas, ou en quantité insuffisante, en Suisse (telles que le cacao) seront exclues du calcul des 80%.
Intégration des coûts de développement
Un produit industriel (prenons un couteau suisse) sera considéré comme suisse si 60% au moins du coût de revient est généré sur sol helvétique et que l’activité ayant donné au produit ses caractéristiques essentielles se déroule également en Suisse (par exemple l’assemblage d’une montre). Innovation du nouveau droit, les coûts liés à la recherche et au développement seront notamment inclus dans le calcul des 60%. A l’opposé, les coûts liés à la commercialisation des produits finis, les frais d’emballage ou de transport en seront exclus, car ils ne confèrent pas au produit une identité suisse.
Enfin, un service sera suisse si l’entreprise qui le réalise a son siège en Suisse et que la société est réellement administrée depuis le sol helvétique. Une simple boîte aux lettres en Suisse ne sera donc désormais plus suffisante.
Croix suisse, drapeau suisse et armoiries de Confédération
En principe, les entreprises qui respectent les critères Swissness pourront librement – et gratuitement – utiliser la croix suisse, ou faire référence d’une autre manière à la Suisse, pour commercialiser leurs produits et services. Aucune autorisation ne devra être requise. Ce n’est qu’en cas de litige que l’entreprise devra démontrer que les exigences légales sont respectées.
Ces entreprises seront libres de reproduire à l’identique le drapeau suisse. Elles pourront également l’utiliser sous une forme différente, par exemple en en modifiant les dimensions, la couleur, ou en intégrant d’autres éléments graphiques. Par contre, l’emploi des armoiries de la Confédération suisse – soit une croix suisse placée dans un écusson – demeurera en principe interdit.
Enfin, précisons que les conditions exposées ci-dessus n’auront pas besoin d’être respectées si la croix suisse est utilisée dans un but purement décoratif. Ainsi, le t-shirt rouge abordant une large croix blanche acheté pour le 1er Août, voire le drapeau suisse acquis pour la même occasion, ne seront peut-être pas si suisses que ça!
A lire aussi:
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.