Le règne sans fin des «mouvements de libération» en Afrique australe
opinions
Christine von Garnier, du Réseau Afrique Europe Foi et Justice, montre que ceux qui ont obtenu l’indépendance sont encore au pouvoir et se comportent comme les colonisateurs qu’ils ont chassés
Le Mondial de football est proche et beaucoup se réjouissent d’aller en Afrique du Sud avec un sentiment mêlé de joie et de crainte après les meurtres commis par des rebelles de Cabinda (Angola) contre l’équipe du Togo. Il y a aussi les assassinats de nombreux fermiers blancs ces dernières années, dont le rebelle blanc Terre Blanche. Mais quelle politique pratiquent aujourd’hui les anciens mouvements de libération?
Depuis les années 60, différents mouvements de libération se sont élevés violemment contre les minorités coloniales et ont obtenu l’indépendance: l’Angola et le Mozambique en 1975, le Zimbabwe (ex-Rhodésie) en 1980, la Namibie en 1990, et l’Afrique du Sud par les élections de 1994. Ils sont au pouvoir aujourd’hui encore, n’ayant cédé à aucune opposition: le MPLA en Angola (contre Savimbi), le Zanu-PF au Zimbabwe, le Frelimo au Mozambique, la Swapo en Namibie et l’ANC en Afrique du Sud. Leur domination se base sur l’idéologie du «libérateur» du pays de la minorité blanche et sur la «garantie» de l’indépendance qu’ils ont acquises au prix du sang versé par des «héros sacrifiés». Cette rhétorique est au-dessus de la démocratie. Elle explique aussi pourquoi Mugabe n’est pas condamné par ses pairs pour les horreurs commises à l’égard de son peuple et les humiliations envers l’opposition MDC (Tsangirai).
En Angola, le président Dos Santos règne comme le chef d’une oligarchie qui s’enrichit démesurément grâce au pétrole, et cela au détriment de masses très pauvres qui recueillent les miettes de la table des riches.
Au Mozambique, le Frelimo, après avoir surmonté la mort de Samora Machel (dont la veuve est la femme de Mandela), a réussi à se maintenir au pouvoir très habilement par des échanges de fonctionnaires qui lui étaient acquis, et récemment, par de petites manipulations aux élections en intégrant l’opposant Renamo. Dans les deux anciennes colonies portugaises, les souffrances des populations locales ont été épouvantables. Il faut dire qu’aussi bien Jonas Savimbi (ex-chef de l’Unita) que la Renamo étaient soutenus militairement par l’Afrique du Sud.
En Namibie, les dernières élections ont vu la victoire écrasante de la Swapo avec 75% des voix (qui correspondent aussi à l’ethnie majoritaire) sur les partis d’opposition. Ces derniers ont fait un recours pour cause d’irrégularités et de fraudes, dont on ne sait pas ce qu’il va devenir. En attendant, quelques petits partis d’opposition ont accepté de siéger au parlement, mais le principal (RDP) s’en est abstenu.
Dans le langage des dirigeants, les opposants cherchent à «déstabiliser le pays et sont des marionnettes de l’impérialisme», une langue de bois dépassée alors que leurs gouvernements sont aidés aussi bien par les Chinois, les Américains et l’Union européenne. S’il y a des manières différentes de régner en parti unique, comme l’avait d’ailleurs fait Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, il y a cependant des traits communs entre eux. Alors que le parti politique dominant dit représenter les intérêts de «tout le peuple», la réalité post-coloniale ne satisfait plus les attentes de ceux qui considéraient la lutte de libération comme un moyen de créer plus d’égalité socio-économique, de droits civils et politiques, de droits humains, bref de ce qu’on appelle la vraie démocratie.
Au contraire, la réalité reflète une arrogante culture politique, la prise de pouvoir par la nouvelle élite dont la majorité s’enrichit exagérément. Effet de mimétisme? Beaucoup se comportent de la même manière que les anciens dirigeants coloniaux, ayant établi une même structure hiérarchique. Le chef d’Etat reste le grand chef, le «père de la nation» qui a chassé les Blancs et qui, avec ses ministres satellites, se sert des ressources naturelles du pays comme si cela leur appartenait de droit divin. On pense à Louis XIV, on voit des essais de révolutions sincères et démocratiques partout, mais elles sont étouffées ou neutralisées comme maintenant à Madagascar.
Les transformations sociales des sociétés en Afrique australe sont marquées par les structures coloniales dont la transition s’est faite au nom de la démocratie par un changement politique contrôlé. Mais aujourd’hui, il y a un contrôle subtil des changements par les élites politiques. Ces dernières se réclament de faits historiques de libération parfois biaisés ou inventés, pour créer une nouvelle tradition, afin d’établir une légitimité post-coloniale exclusive basée sur des forces sociales partielles. La mystification des «libérateurs» joue encore un rôle essentiel. Il y a tout un symbolisme qui exige la loyauté.
En Afrique du Sud, les faits sont moins caractérisés, bien que les jeunes de l’ANC, sans travail, deviennent de plus en plus radicaux. Mais il faut parier quand même sur la grande fierté et la joie de la majorité de la population de donner l’hospitalité à un événement mondial de football, chez eux, en Afrique. La présence de Mandela, vrai symbole vivant de la réconciliation et de la paix, aura un effet bienfaisant sur tous.
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