Tout à coup, la politique européenne de la Suisse se remet en mouvement.
La visite de la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, hier à Bruxelles, couronne une série de rencontres qui se sont multipliées au cours des deux dernières semaines. A Davos, pas moins de quatre vice-présidents de la Commission ont eu des entretiens avec quatre conseillers fédéraux, dans les domaines de l’économie, de l’énergie, des affaires étrangères et de la politique générale de l’UE; un cinquième membre de la Commission était aussi présent. Les conseillers fédéraux Johann Schneider-Ammann et Doris Leuthard ont poursuivi ces discussions avec la Commission lors de leur déplacement à Bruxelles la semaine dernière. Le secrétaire d’Etat Yves Rossier est également venu voir son homologue du Service européen pour l’action extérieure.
Une telle fébrilité s’explique d’abord par la nécessité d’établir des relations personnelles avec les nouveaux responsables, qui ont pris leurs fonctions au mois de novembre 2014. Il s’agit aussi de leur exposer directement les arcanes des rapports entre la Suisse et l’UE, les problèmes spécifiques qui se posent et l’état de l’opinion en Suisse.
Doris Leuthard est rentrée à Berne avec l’idée de conclure dans quatre mois un accord provisoire sur l’électricité, sans attendre la fin de la négociation en cours. Mais deux conditions draconiennes seraient à remplir d’ici au 30 juin 2015: créer un mécanisme institutionnel, une juridiction acceptable pour régler les différends dans le domaine de l’électricité, et revoir le statut et la fiscalité des sociétés de droit public du secteur qui bénéficient de ce que l’UE appelle des aides d’Etat: services industriels, entreprises électriques, etc. Les cantons ne sont pas pressés que l’on touche à leurs régies d’Etat. C’est une démarche pragmatique: la Suisse pourrait ainsi participer in extremis aux ventes aux enchères de courant que l’UE organisera au deuxième semestre de cette année. C’est dire l’ampleur du défi jeté au Conseil fédéral.
La présidente de la Confédération a mené tambour battant une activité diplomatique intense au cours de son premier mois de présidence. C’est son quatrième voyage à l’étranger. Elle a assisté aux cérémonies organisées à Paris le 11 janvier et à Auschwitz le 27, elle s’est rendue à Riga en sa qualité de ministre de la Justice, mais Bruxelles est sa première destination pour des entretiens de substance.
Elle a eu notamment pour interlocuteur le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker.
Ce dernier connaît bien la Suisse: il parle allemand, a visité d’abord la Suisse alémanique avant la Suisse romande. Selon ses dires, il est tombé amoureux du Tessin, où il a passé ses vacances quinze années durant. Il a côtoyé au moins trois générations de conseillers fédéraux, au cours d’une carrière ministérielle de trente années. Il était présent à la signature du Traité de Maastricht en 1992, qui a créé l’euro, et a présidé jusqu’à l’année dernière le groupe des pays qui ont adopté la monnaie commune, l’Eurogroupe.
Au cours des vingt dernières années, la Suisse et le Luxembourg ont mené des politiques convergentes, tenant la dragée haute aux pays qui poussaient à l’abrogation du secret bancaire, ce qui n’empêchait pas leurs places financières de se livrer à une vive concurrence. Puis en 2011, le gouvernement luxembourgeois présidé par M. Juncker a averti la Suisse qu’il allait devoir se rallier à l’échange automatique d’informations, ce qui a permis à notre pays, privé d’alliés, de se préparer dans les meilleures conditions à ce changement majeur.
C’est un ami exigeant: pour lui, l’absence de la Suisse du sein des Etats membres de l’UE est une anomalie provisoire, due au hasard, que l’histoire finira par corriger. Cette tache blanche sur la carte de l’Europe est un non-sens, avait-il déclaré en 2010 – ce qui lui a valu une invitation à débattre à Zurich avec M. Christoph Blocher. A ses yeux, un pays seul, aux prises avec les effets de la mondialisation, n’a aucune chance de s’imposer.
Entrée en fonction en novembre dernier, la Commission Juncker s’est déjà acquis une réputation de pragmatisme et de solide sens politique.
Au-delà des dossiers précis, Simonetta Sommaruga est allée chercher à Bruxelles une première réponse à la question de savoir si cette démarche moins dogmatique s’appliquera aussi aux relations avec la Suisse en général. Mais la Suisse doit aussi prendre en considération le caractère délicat de tout ce qui touche à la libre circulation pour l’UE. Elle doit aussi tenir compte du rôle fondamental de la Cour de justice de l’Union européenne, pierre d’achoppement des négociations de l’accord sur les questions institutionnelles. Enfin, sa position sur la question de l’Ukraine et des sanctions décidées par l’UE est de moins en moins compréhensible, compte tenu des événements sur le terrain et de leur signification pour le continent tout entier.
Jean-Claude Juncker est un ami exigeant: pour lui, l’absence de la Suisse du sein de l’UE est une anomalie provisoire, que l’histoire corrigera