Rénover le bilatéralisme, exercice salutaire mais risqué
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L’objectif poursuivi par le Conseil fédéral – renouveler les bases du bilatéralisme avec l’Europe – est louable mais il est, en fait, imposé à la Suisse, constate l’avocat suisse Jean Russotto. Qui pronostique un jeu de patience, avec bien des écueils à négocier
En annonçant qu’il entend consolider la voie bilatérale, le Conseil fédéral tourne une page capitale dans la politique d’intégration de la Suisse. Il élève le débat là où il aurait dû se situer depuis longtemps, à savoir admettre que des aménagements importants sont nécessaires afin de poursuivre et de développer la relation Suisse-UE. Certes, on est loin d’un remède de cheval; mais cette annonce ne s’apparente nullement à une médecine douce. L’objectif poursuivi est louable; il était indispensable et, en fait, imposé à la Suisse.
Parler de la consolidation ou du renouvellement de la voie bilatérale, c’est passer sous silence qu’au-delà d’une solution aux questions institutionnelles se cache une nouvelle forme d’asseoir la relation Suisse-UE. Il ne sera plus question de s’attacher au confort du bilatéralisme et de continuer d’en paver le chemin. Même si on ne le souhaite pas et on ne l’exprime pas à haute voix, la manœuvre pourrait aboutir à des aménagements considérables de l’édifice. La cohérence ne sera pas nécessairement au rendez-vous, mais l’exercice, peut-être salutaire, doit être entrepris.
Après plusieurs années pendant lesquelles le bilatéralisme sectoriel a été décrit comme la seule voie concevable, faite sur mesure pour la Suisse, on observe maintenant que, sans refonte de la base même de l’édifice, la participation de la Suisse au marché intérieur de l’UE souffrira. Les actuels accords deviennent difficiles à gérer et, surtout, les nouveaux accords souhaités par la Suisse ne sont plus à portée de main. Sans la création d’une base institutionnelle, l’accès au marché intérieur s’étiole.
L’intelligence du Conseil fédéral a été d’abord de le reconnaître et d’essayer de réformer les fondements, un passage obligé, avec une dimension politique intérieure des plus délicates. Ensuite, le Conseil fédéral a judicieusement saisi l’occasion de proposer une stratégie de développement de sa politique européenne sur le moyen terme. Il entend clore – ou ouvrir – certains dossiers d’importance, tels la recherche, les droits d’émission (ETS) et la fiscalité avec ses divers volets (épargne, entreprises), afin d’obtenir un meilleur accès au marché. En bref, une approche globale, voulue coordonnée, qui mêle réforme institutionnelle et recadrage de plusieurs accords existants, accompagnés de nouveaux accords; le tout bouclé à l’occasion d’un sommet Suisse-UE, au courant de l’année prochaine.
Courageuse entreprise, ou plutôt aveu que, sans un radical coup de reins, le bilatéralisme tel qu’il est actuellement pratiqué n’est plus viable? L’enjeu est double: s’entendre sur une solution institutionnelle qui ménage à la fois l’ordre constitutionnel suisse et les sensibilités politiques du pays et qui satisfait dans le même temps la Commission européenne et les 28 Etats membres. En parallèle, s’assurer que les accords en place, et ceux qui seront négociés à l’avenir, deviennent et demeurent l’armature économique de la relation Suisse-UE. Au-delà des slogans, peut-on parler d’une approche raisonnée ou plutôt d’une vision à court terme?
Les vieux démons guettent les négociateurs pressés d’aller de l’avant, car apparemment convaincus qu’il y a, à ce stade, unité de lieu et de temps. Les augures ne sont souvent pas propices. Une nouvelle réalité va s’imposer, celle du face-à-face du concret et de l’abstrait. Qu’on le veuille ou non, l’aspect institutionnel – dont on ne connaît pour l’instant qu’une infime partie – est un thème éminemment abstrait pour la majorité de la population et c’est là que se trouve le vrai danger. Il est illusoire de vouloir vendre la relation Suisse-UE en décrivant des concepts institutionnels qui, même simplifiés, demeurent obscurs et souvent mal compris, malgré la pédagogie officielle.
En revanche, la matière concrète, par exemple en ce qui concerne le futur accord électricité, la participation de la Suisse au programme de recherche, l’accès au marché intéressent tout un chacun, même si parfois ces thèmes divisent. Il est plus aisé de saisir les défis d’une négociation commerciale que de méditer sur le fonctionnement du système de renvoi préjudiciel du Tribunal fédéral à la Cour de justice européenne.
Néanmoins, le lien entre ces deux aspects est indissociable pour l’UE, et c’est sur cette base que le Conseil fédéral a accepté d’entamer ces négociations. Nous sommes loin des précédentes négociations bilatérales I et II, où les aspects institutionnels avaient un poids équivalent à celui de la substance des accords en négociation. Si cela est exact, où est donc le problème, dira-t-on? Si problème il y a, il réside dans le fait qu’il sera ardu pour la Suisse de ne pas s’engager dans une négociation où tout est sciemment enchevêtré et qui ressemble davantage à un paquet de demandes et de concessions. La référence fréquente à des négociations bilatérales, troisièmes du nom, n’a plus cours. Dans l’hypothèse où la négociation institutionnelle perdure – car ni la Suisse ni l’UE n’arrivent à faire disparaître les points sensibles, et les lignes institutionnelles et politiques à ne pas franchir –, peut-on croire que l’UE acceptera de négocier un ou plusieurs accords concernant l’accès au marché?
Les négociations qui s’ouvrent seront un jeu de savante patience. Le calendrier annoncé sort d’une feuille de route avec un horizon sans nuage. La réalité est différente, d’où la crainte de voir cette initiative déboucher sur un jeu à somme nulle. Cela étant, la vérité veut que ces futures négociations marquent la relation Suisse-UE. Vu la multiplicité et l’imbrication des enjeux et des questions ouvertes, il y a ou péril à voir la relation stagner et se diluer ou, au contraire, chance de déboucher sur une nouvelle association stable et pérenne. Pour y arriver, la stratégie envisagée n’est pas véritablement ancrée et la réponse européenne sera pour le moins très prudente.
Qui veut trop embrasser les recoins du bilatéralisme mal étreint l’Europe. Mais l’aspect positivement thérapeutique se manifestera dans les mois qui viennent: que veut-on au juste de l’UE, et comment faire pour l’apprivoiser?
Avocat suisse à Bruxelles
Qui veut trop embrasser les recoins du bilatéralisme
mal étreint l’Europe
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