Commentaire
La loi fédérale sur le renseignement a remporté un triomphe inespéré dans les urnes. Reste à savoir comment, et contre qui, les services suisses vont utiliser leur nouvel outil. Notre commentaire

C’est le raz de marée inattendu de ce dimanche de votations. Plébiscitée même dans les bastions de gauche les plus critiques envers l’armée (Jura, Bâle-Ville, Genève…), la nouvelle loi sur le renseignement remporte un succès populaire inespéré dans son ampleur (65,5% de oui au niveau national).
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Ce résultat renvoie aux oubliettes de l’histoire les vieux souvenirs de l’affaire des fiches. Il réduit à la portion congrue l’influence des libertaires du Net, façon Parti pirate. Il ringardise surtout cette fraction majoritaire de la gauche qui militait par principe contre la loi. Désavouée par la base, elle doit se demander ce que lui apportent sa propension à l’angélisme et son refus d’adopter des positions sensées sur les questions de sécurité nationale.
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Des objectifs flous
Mais là n’est pas l’essentiel. La loi acceptée, il faut se demander ce que les services de renseignement et le Conseil fédéral vont en faire. Or ce point n’a presque pas été abordé durant la campagne. Il n’a été question que de supervision des services et de risques d’une «surveillance de masse». Mais quels seront les objectifs concrets d’un Service de renseignement de la Confédération (SRC) aux capacités de collecte décuplées?
La nouvelle loi se contente à ce sujet de généralités (lutter contre le terrorisme, l’espionnage). Elle ne dit rien de ce que le SRC va faire pour protéger la place financière suisse ou les infrastructures critiques du pays – deux nouveaux objectifs assignés par la loi.
Le risque, désormais, est que le SRC commence à faire un peu de tout, faute de priorités identifiées. Qu’il commence à collecter et accumuler des données sans les trier, sans les traiter. C’est justement en cumulant des moyens d’écoute étendus et un manque de ciblage sur les menaces principales que la NSA américaine est devenue ce monstre tentaculaire qu’a dénoncé Edward Snowden.
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Pour mettre en œuvre et bien utiliser son nouvel outil, le SRC aura besoin de plus de moyens, de plus de personnel et d’un pilotage politique plus serré de la part du Conseil fédéral. Il va aussi devoir apprendre à communiquer de manière plus transparente sur ses activités, sur les menaces qu’il combat et sur ses nouveaux domaines de compétences, comme la pénétration des réseaux numériques. La Suisse a désormais besoin d’un service qui soit à la hauteur de ses nouvelles ambitions.
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