Opinion
OPINION. La section genevoise de Rethinking Economics, une faîtière d’associations d’étudiants en économie née au Royaume-Uni en 2012, lance une pétition adressée à la Faculté d’économie et management (GSEM) et au Global Studies Institute (GSI) de l’Université de Genève

La crise financière de 2008 a ébranlé le monde. Quelques banques éminentes ont disparu, et le sauvetage d’autres a évité l’effondrement de l’économie mondiale. Cela grâce à des Etats qui ont, dans cette situation d’urgence, recommencé à jouer un rôle actif sur le marché. Des mouvements contestant le libéralisme économique ont fait des vagues dans le paysage politique. Cependant, une chose n’a pas changé: l’enseignement de l’économie dans nos universités.
L’influence des universités sur de tels événements économiques n’a qu’une place très marginale dans le discours public. Mais ce sont elles qui donnent aux futurs managers et fonctionnaires les outils avec lesquels ils analyseront le monde économique. Certes, elles ne peuvent pas disposer de panacées. Elles doivent plutôt préparer les étudiants à prendre de bonnes décisions dans des situations complexes qui touchent l’écologie autant que des humains dans les multiples pays de notre économie mondialisée. Ce qui n’est, selon nous, pas encore suffisamment le cas.
90% d’orthodoxes
Selon une étude, presque 90% des professeurs recrutés aux universités françaises appartiennent à l’école de pensée dominante, professeurs qui sont ainsi dits orthodoxes. En ce qui concerne l’enseignement, les analyses que nous avons entretenues à l’Université de Genève vont dans la même direction. Cela ne veut pas dire que tous les économistes chantent la même chanson, bien sûr, il existe des débats dans la profession. Mais le poids de cette orthodoxie a pour effet qu’on parle plus de la mélodie que du fondement sonore de notre économie.
Nous, les étudiants, avons besoin de connaître la panoplie des fondements sonores avant de nous pencher sur les mélodies. Si nous ne sommes pas conscients des hypothèses fondamentales sur lesquelles se basent les théories qui nous sont enseignées, nous ne serons pas suffisamment capables de nous rendre compte de la diversité des enjeux économiques. Or, si on fait un bachelor en économie et management à notre université, on n’a pas encore de cours traitant de l’histoire de la pensée économique ou élaborant un fondement théorique loin de l’orthodoxie.
Cette structure des cours donne l’image que la critique ne fait qu’amender le noyau dur de la science économique
Les trois groupes suisses de Rethinking Economics (Genève, Zurich et Lugano), une faîtière d’associations d’étudiants créée au Royaume-Uni en 2012, prônent une approche pluraliste dans la science économique. Ce pluralisme répond aux exigences diverses de notre monde. Il forme des étudiants diplômés critiques prêts à affronter notre monde complexe. Prenons comme exemple le réchauffement climatique. En simplifiant, deux visions s’affrontent sur le rapport entre l’économie et la nature: certains disent que notre économie peut devenir durable tout en continuant à croître, d’autres contestent la compatibilité d’une économie verte avec la croissance. Le rôle de l’enseignement économique dans ce débat ne consiste pas à juger cet enjeu, mais à illuminer l’esprit des étudiants avec des théories et des faits, parfois contradictoires, qui coexistent.
La question de la croissance
Cependant, les cours de la faculté d’économie consacrés à cet enjeu ne posent presque jamais la question ouverte de la croissance, malgré son importance certaine. La structure prépondérante des cours d’économie à l’université est la suivante: les professeurs commencent avec l’élaboration de théories orthodoxes. Les critiques de ces dernières sont données d’une manière rassemblée à la fin. Ainsi, on peut dire que oui, la critique existe. Mais cette structure des cours donne l’image que la critique ne fait qu’amender le noyau dur de la science économique. C’est faux, il existe bien d’autres fondements théoriques qui sont cruciaux pour pouvoir interpréter les processus de notre monde réel.
Pour ce besoin de réforme, nous avons lancé une pétition pour un enseignement économique pluraliste, critique et proche du monde réel à l’Université de Genève, qui a déjà le soutien de 400 personnes. Nos réflexions ont permis des changements, dont un cours obligatoire en histoire de la pensée économique, et nous continuons à avoir un débat constructif avec les instances universitaires. C’est ainsi que nous voulons œuvrer ensemble pour la meilleure éducation économique possible.
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