Opinion
OPINION. Mettant fin au moratoire de dix-sept ans qui prévalait pour les condamnés selon le droit fédéral états-unien, quatre exécutions ont été programmées en pleine année électorale pour tenter de convaincre que «la loi et l’ordre» passent par des mises à mort après des procès douteux, écrivent Ruth Dreifuss et trois autres membres de la Commission internationale contre la peine de mort

Auteurs:
- Navi Pillay, présidente et ancienne haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme
- Ruth Dreifuss, vice-présidente et ancienne conseillère fédérale, Suisse
- Bill Richardson, ancien gouverneur du Nouveau-Mexique
- Michèle Duvivier, ancienne première ministre d’Haïti
Le 15 juin 2020, le procureur général William P. Barr, mettant en œuvre un vœu exprimé à maintes reprises par le président Trump, a ordonné au Bureau fédéral des prisons (BOP) de programmer l’exécution de quatre détenus fédéraux: Daniel Lewis Lee (agendé au 13 juillet), Wesley Ira Purkey (15 juillet), Dustin Lee Honken (17 juillet) et Keith Dwayne Nelson (28 août). Daniel Lewis Lee a effectivement été exécuté au petit matin du 14 juillet, ce qui met fin à une période de dix-sept ans durant laquelle il n’y a plus eu de mise à mort pour des personnes condamnées par des tribunaux fédéraux.
Cette reprise des exécutions va à l’encontre d’une évolution vers l’abolition universelle de la peine de mort. Aujourd’hui, une majorité de pays dans le monde y a renoncé: 107 pays l’ont radiée pour tous les crimes; si l’on ajoute ceux qui n’exécutent plus même si cette sentence peut être prononcée, ce sont 142 pays qui ont aboli la peine de mort en droit ou en pratique. Un petit nombre de pays procède à l’essentiel des exécutions. Les Etats-Unis font ainsi partie d’un groupe qui ne compte, par ailleurs, que la Chine, l’Iran, l’Irak, la Corée du Nord, l’Arabie saoudite et le Vietnam.
Pourtant, les Etats-Unis ont connu une évolution impressionnante vers l’abandon de la peine capitale. A mi-2020, 22 Etats et le district de Columbia avaient aboli la peine de mort et dans trois Etats, par décision du gouverneur, les exécutions sont suspendues. Le nombre de condamnations et d’exécutions n’a cessé de diminuer: en 2019, 22 personnes provenant de sept Etats ont été exécutées, la seconde donnée la plus basse en vingt-huit ans; 34 personnes ont été condamnées à mort, également la seconde donnée la plus basse enregistrée en quarante-six ans.
Traumatismes et abus
La reprise des exécutions fédérales constitue un retour à une pratique qui a révélé ne pas conduire à une réduction des crimes graves, succomber souvent au risque de tuer des innocents, ne pas tenir compte de l’évolution des personnes vivant pendant des décennies dans les couloirs de la mort en attente du châtiment ultime.
Les dirigeants politiques ont à la fois une obligation politique et une responsabilité morale de s’abstenir de sentiments de haine et de vengeance
Une étude récente menée aux Etats-Unis par le Centre d’information sur la peine de mort révèle qu’environ 75% des prisonniers du couloir de la mort ont des antécédents documentés de traumatismes et d’abus subis pendant leur enfance. C’est le cas des quatre personnes «sélectionnées» pour mettre fin au moratoire de dix-sept ans qui prévalait pour les condamnés selon le droit fédéral. Daniel Lewis Lee, qui vient d’être exécuté, a subi des violences répétées dans sa famille et dans les établissements de santé mentale pour adolescents où il a été envoyé par son beau-père abusif. Il a subi de telles violences physiques dans sa jeunesse qu’il a craint pour sa vie à plusieurs reprises. La même étude révèle que près de 50% des prisonniers condamnés à mort au niveau fédéral présentent des signes de maladie mentale grave. Wesley Purkey a souffert d’un important traumatisme tout au long de sa vie. Aujourd’hui, les effets combinés de la schizophrénie et de la démence le rendent incapable de comprendre pourquoi le gouvernement fédéral prévoit de l’exécuter.
Le troisième condamné, Dustin Honken, est issu d’une famille profondément dysfonctionnelle. Son enfance a été perturbée par l’alcoolisme, qui est un trait commun aux familles des condamnés à mort au niveau fédéral. De plus, son père, un homme violent et alcoolique, a recruté ses enfants pour ses propres actions criminelles. Malheureusement, la défense de Honken n’a pas présenté les preuves de ses antécédents, ni ses problèmes de santé mentale, qui auraient dû constituer des circonstances atténuantes.
Lésions cérébrales
Le quatrième condamné, Keith Nelson, fait partie des 29% de détenus fédéraux du couloir de la mort qui souffrent de lésions cérébrales liées au développement, de traumatismes crâniens et/ou d’une déficience intellectuelle. Il a subi d’importantes lésions cérébrales alors qu’il était nouveau-né. De plus, il a été soumis à des abus sexuels et physiques répétés dans son enfance, dans une famille dont plusieurs membres souffraient de graves troubles mentaux. Là encore, son avocat n’a pas enquêté sur le passé de Nelson et le jury n’a jamais eu connaissance des privations extrêmes, des traumatismes et de la négligence dont il a été victime durant son enfance.
En ces temps difficiles, où la valeur de la vie humaine conduit à manifester en faveur des victimes de violences policières et mobilise toutes les forces pour endiguer la pandémie de Covid-19, en une période où la solidarité et la compassion sont plus nécessaires que jamais, les gouvernements et les dirigeants politiques ont à la fois une obligation politique et une responsabilité morale de s’abstenir de sentiments de haine et de vengeance. Or, les exécutions de quatre hommes ont été programmées, en pleine année électorale, pour tenter de convaincre que «la loi et l’ordre» passent par des mises à mort après des procès douteux et des décennies passées dans les couloirs de la mort. Aux nombreux arguments en faveur de l’abolition de cette pratique cruelle, dégradante et inhumaine, ajoutons le dégoût qu’inspire une décision aux motifs clairement politiques.
La Commission internationale contre la peine de mort est composée de 22 commissaires, anciens chefs d’Etat ou de gouvernement, ministres, hauts fonctionnaires des Nations unies, juges, avocats et universitaires de renommée internationale. Vingt-trois pays provenant de toutes les régions du monde, tous engagés en faveur de l’abolition de la peine capitale, soutiennent activement les activités de la commission.
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