OPINION
OPINION. Les tensions sont devenues trop fortes autour du loup, notamment dans le Jura vaudois. La raison voudrait qu’on lutte contre son expansion qui met en danger jusqu'à notre sécurité alimentaire, plaide l’agriculteur Claude-Alain Gebhard, ex député vert’libéral

La Suisse est un des pays les plus densément peuplés de Canis lupus avec pas moins de 150 individus officiellement recensés en 2022 et probablement plus de 200 loups régulièrement présents sur notre territoire.
Les loups occupent tout le massif alpin avec une forte concentration des meutes dans le canton des Grisons. Dernièrement ils ont colonisé le Jura vaudois et s’étendent sur tout le plateau.
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Selon les données officielles des cantons de Vaud et du Valais, les prédations attestées à ce jour pour l’année 2022 sont de 357 ovins, 34 bovins et 24 caprins. Soit un total de 415 animaux domestiques tués sur le territoire valaisan et vaudois en un an! Ce triste score ne comprend pas les bêtes non déclarées ou non retrouvées, ni les cas non déterminés qui représentent probablement encore 20 à 30% d’animaux en plus.
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Les solutions actuellement proposées par l’Etat sont inadaptées à la situation et difficilement applicables. Les clôtures et les chiens de protection exigent énormément de travail et de surveillance dans un contexte où la main-d’œuvre fait défaut. Elles ne sont pas non plus une alternative sérieuse dans nos pâturages et nos territoires de montagne densément fréquentés par des randonneurs à pied, à vélo ou à cheval.
Des clôtures de protection barrant les chemins pédestres, des itinéraires interdits au public à cause des animaux se sentant menacés et qui deviennent agressifs envers les promeneurs, des gros chiens de protection très territoriaux, ne faisant pas la différence entre un loup et un chien de compagnie: voilà tous les ingrédients qui vont remettre en question le tourisme de randonnée dans nos régions de montagne si rien n’est entrepris rapidement pour limiter l’expansion incontrôlée des loups.
En Suisse, les surfaces qui permettent la production de denrées alimentaires sont constituées, en grande majorité, de prairies impropres à la culture à cause de l’altitude et des pentes. L’élevage des ruminants (moutons, bovins et chèvres) est donc bien le secteur clé de notre sécurité alimentaire. Ce sont surtout les bergers qui souffrent des attaques contre leurs troupeaux en essayant vainement de repousser la pression croissante des loups avec des clôtures, des chiens de protection et beaucoup de veilles de nuit. A cause de la présence du loup, les animaux domestiques deviennent nerveux et de plus en plus agressifs, et des bergers et des éleveurs ont hélas déjà payé de leur personne. La peur, le stress, les efforts supplémentaires pour les clôtures et le gardiennage de nuit, la souffrance des animaux blessés et les pertes économiques, sont un prix trop élevé que beaucoup ne sont plus prêts à payer. Cette situation conduit inexorablement à l’exode rural et donc à la perte de notre autonomie alimentaire…
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La zone alpine est reconnue comme un hot spot de biodiversité par l’UNESCO. Cette riche biodiversité est le produit d’une coévolution sur des millénaires entre l’activité humaine et la nature par le biais du pastoralisme et de l’occupation décentralisée du territoire. Cette activité traditionnelle assure le maintien de paysages ouverts et variés dans la zone alpine. Son abandon représente inéluctablement une régression rapide de cette riche biodiversité, qu’elle soit végétale, animale ou microbiologique, pourtant si indispensable à l’avenir de l’humanité.
Au vu de ce constat alarmant, le Conseil national, après le Conseil des Etats, s’est largement prononcé en faveur d’une révision de la loi sur la chasse, fin 2022. Notons aussi que la Suisse a déposé une requête auprès de la Commission du Conseil de l’Europe demandant au Comité permanent de la Convention de Berne le déclassement du statut de protection du loup.
Il faut maintenant espérer qu’une majorité de nos concitoyens, y compris les plus dogmatiques, prennent conscience des enjeux que représente pour notre société tout entière l’expansion incontrôlée du loup dans nos territoires densément peuplés.
Le loup nous pose en effet une question fondamentale: quelle société voulons-nous pour demain?
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