Retrait du carbone, net zéro et implications pour la Suisse
OPINION
AbonnéOPINION. En tant que scientifiques engagés, Sascha Nick et Philippe Thalmann, de l’EPFL, expliquent pourquoi la Suisse devrait aller plus vite que l’Accord de Paris pour réduire ses émissions, et présentent leur projet d’un Fonds suisse pour les émissions négatives, pour financer la capture du carbone

Ce texte fait partie d'une semaine spéciale de débats consacrés aux défis économiques de la crise climatique.
- Premier jour: (Dé)croissance et (dé)mesures Découvrez la présentation de cette opération
- Deuxième jour: Le rôle des consommateurs Découvrez la présentation de cette opération
- Troisième jour: Le rôle des entreprises Découvrez la présentation de cette opération
- Quatrième jour: L'économie circulaire Découvrez la présentation de cette opération
- Cinquième jour: Net zéro: la dernière ligne droite
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Comment réduire les émissions suisses des gaz à effet de serre de 50% en 2030, et de 100% pour atteindre le net zéro au plus tard en 2050? C’est le minimum requis afin de respecter l’engagement suisse de l’Accord de Paris, et le niveau de réduction nécessaire au niveau mondial, comme nous le rappelle le sixième rapport du GIEC. Mais, posons d’abord la question: la Suisse doit-elle juste faire le strict minimum?
Nous pensons que non: pour le net zéro mondial en 2050, les pays ayant la capacité, ainsi que la responsabilité des émissions historiques doivent aller de l’avant et devenir neutres pour le climat plus tôt, par exemple en 2040, pour ensuite aider les autres avec le transfert des meilleures pratiques et le soutien financier. Pour ce côté exemplaire, la petite taille de la Suisse est un atout, indépendamment de sa part des émissions mondiales.
Certes absente du discours public actuel, cette accélération serait bénéfique pour la Suisse, indépendamment de la vitesse à laquelle les autres pays suivent. D’abord, une sortie complète des énergies fossiles augmenterait la résilience et la sécurité énergétique, mettrait fin au financement des régimes opposés à nos valeurs à travers le monde et réduirait la pollution de l’air en Suisse. Une adaptation du système alimentaire réellement bénéfique à la biodiversité – les écosystèmes intacts étant la condition de base pour une politique climatique réussie – induirait des changements côté production et consommation alimentaire, avec des cobénéfices majeurs en termes de santé et résilience alimentaire. Aucun de ces bienfaits ne dépend des autres pays, et ils devraient être mis en œuvre même dans une perspective parfaitement égoïste, ce qui n’est évidemment pas souhaitable pour d’autres raisons.
Atteindre le net zéro signifie réduire ses émissions autant que nécessaire, afin de pouvoir retirer de l’atmosphère les émissions résiduelles. Le potentiel de ces «émissions négatives», qui ne nuisent pas à la société ni à la biodiversité, pourrait atteindre 10% des émissions actuelles. Il s’agit principalement de solutions fondées sur la nature, comme la renaturation des marais, des forêts, et autres écosystèmes, ou la restauration des sols aujourd’hui appauvris en carbone. Il s’agit aussi de produire du biochar (biomasse transformée par pyrolyse) ou d’utiliser les résidus de biomasse pour produire de l’énergie en capturant le carbone, à condition de pouvoir le stocker dans des réservoirs géologiques en Suisse.
L’avenir de la politique climatique et l’habitabilité de la Terre se décident maintenant, et les émissions négatives sont un élément clé. Soit on choisit une trajectoire de décarbonation ambitieuse et responsable, par exemple de 90% d’ici 2040, le solde des émissions étant retiré de l’atmosphère au profit du vivant, et donc on suit la trajectoire d’une société engagée, résiliente, saine, guidée par la satisfaction des besoins humains. Soit on continue de repousser le problème en comptant sur de futurs miracles technologiques, portés par cette économie extractive qui détruit la biosphère au bénéfice d’une petite minorité.
Les choix autour des émissions négatives que nous faisons maintenant, la vitesse de décarbonation, et le but que nous nous fixons pour la société et la biodiversité, définiront notre qualité de vie collective pour des décennies.
Notre proposition de Fonds suisse pour les émissions négatives constitue une solution possible: ce fonds pour les émissions négatives serait financé sur le principe «pollueur-payeur», pour retirer les 10% d’émissions résiduelles, et qui investirait dans un portefeuille de projets principalement fondés sur la nature, conçus et gouvernés par les communes, avec un fonds pilote dès 2023.
Nous appelons à un large dialogue participatif et délibératif entre scientifiques, politiques, et citoyens, afin de créer ensemble une transition désirable, résiliente, inclusive et juste. Ce dialogue doit urgemment inclure le retrait du carbone.
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