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Le rêve soviétique de Vladimir Poutine

La Russie a besoin de l’Occident pour se moderniser, et les Occidentaux ne pourront pas, quoiqu’ils en disent, se passer de leur grand voisin eurasien. Pourtant, le président russe poursuit sa route vers l’isolement, le repli sur les valeurs conservatrices et l’idéal de grande puissance. Par Shlomo Ben-Ami

© Keystone
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Le rêve soviétique de Vladimir Poutine

Le récent accord nucléaireconclu par six grandes puissances mondiales avec l’Iran représente un véritable triomphe du multilatéralisme. Si ces mêmes puissances – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, accompagnés de l’Allemagne – démontraient une volonté similaire dans le cadre d’efforts conjoints visant la résolution d’autres contentieux, le monde pourrait alors espérer pénétrer dans une nouvelle ère de coopération et de stabilité.

Un tel scénario semble malheureusement peu probable. Qu’il soit question des agissements de la Chine en mer de Chine méridionale, ou de l’avancée constante de l’Etat islamique au Moyen-Orient, la compétition et le conflit ne cessent de menacer plusieurs ordres régionaux de longue date. Mais sans doute le conflit le plus critique – dans la mesure où ses retombées concernent l’ensemble des Etats – s’opère-t-il du côté de l’Ukraine, pays devenu la composante centrale des ambitions expansionnistes du président russe Vladimir Poutine.

L’annexion unilatérale de la Crimée par la Russie, ainsi que le soutien de cette dernière aux séparatistes d’Ukraine de l’Est, ont rompu les relations de la Russie auprès de l’Occident, Poutine faisant volontairement resurgir une atmosphère de Guerre froide en vantant les «valeurs conservatrices» de son pays, en tant que contrepoids idéologique d’un ordre mondial libéral conduit par l’Amérique. Or, un certain nombre de problématiques majeures – carnage syrien, lutte contre l’Etat islamique, non-prolifération des armes nucléaires, ou encore conflits d’intérêts et revendications concurrentes en Arctique – ne pourront être résolues sans une implication de la Russie.

C’est la raison pour laquelle des efforts d’apaisement auprès de la Russie sont inévitables, malgré la difficulté que cela représente pour les puissances occidentales. Les Etats-Unis doivent se montrer plus attentifs aux sensibilités de la Russie en tant que puissance significative et civilisation majeure, de même que doivent être pris en considération les intérêts sécuritaires légitimes de la Russie concernant ses frontières avec les pays de l’OTAN, notamment afin de maintenir l’Ukraine hors de toute alliance militaire rivale. Solution initialement proposée par Poutine, l’approbation par le parlement ukrainien d’une autonomie des régions séparatistes pro-russes – malgré une vive opposition internationale – constitue précisément le type de concession nécessaire au rétablissement de la paix.

Néanmoins, il appartiendra au bout du compte à la Russie de changer d’attitude. La propagande nostalgique d’un statut de «grande puissance» remontant à une époque soviétique de Guerre froide vient obscurcir les enseignements de cette époque révolue. L’Union soviétique était un empire peu viable; si elle n’a pu survivre à une époque où l’isolement et la bipolarité constituaient l’ordre du jour, elle ne peut espérer renaître au sein d’un système mondial aujourd’hui caractérisé par une multipolarité interconnectée.

D’emblée, la Russie n’est pas en position de s’opposer à l’Occident: son économie ne cesse de dépérir, tandis que le pays manque d’alliances solides susceptibles de contrer la puissance américaine. Poutine a pour espoir de voir la Russie et ses partenaires des BRICS (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud) devenir les «futurs leaders de la planète et de l’économie mondiale», comme il l’a expliqué au mois de juillet, en conclusion des sommets organisés par les BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).

Or, la simple vérité veut que ni les BRICS, ni l’OCS ne constituent un bloc suffisamment cohésif pour pouvoir isoler la Russie des conséquences de son comportement à l’égard de l’Ukraine. Les divergences en termes de valeurs et d’intérêts stratégiques au sein de ces regroupements se révèlent tout aussi significatives que les désaccords de leurs différents membres vis-à-vis de l’Occident.

Il en va de même concernant la relation bilatérale entre la Russie et la Chine. Cette relation repose dans une mesure considérable sur une dépendance de la Chine à l’égard des approvisionnements énergétiques russes, sur un soutien mutuel des «sphères d’influence» en tant que fondement conceptuel d’un ordre mondial alternatif, ainsi que sur des exercices navals conjoints dans la mer Noire. Les deux pays voient néanmoins leurs intérêts s’opposer en Asie centrale, région au sein de laquelle la Chine entreprend des investissements majeurs afin d’étendre son influence sur des pays que la Russie considère comme son «proche voisinage». Lorsque Poutine a remis en question l’indépendance du Kazakhstan l’an dernier, la Chine n’a pas tardé à soutenir la souveraineté du pays. L’empiétement potentiel de la Chine au niveau des frontières non peuplées de l’extrême est de la Russie – qui constituent aux yeux de la Chine des territoires dérobés, tels Hongkong et Taïwan, au cours du «siècle de l’humiliation» – représente également une source d’inquiétude pour le Kremlin.

Plus important encore, l’économie de la Chine dépend d’un accès continu aux marchés occidentaux – et particulièrement américain. A l’heure où le ralentissement de son économie suscite une plus forte incertitude en Chine, le pays ne peut se permettre de provoquer des tensions avec les Etats-Unis sur quelque question étrangère à ses propres intérêts directs, tels que ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale.

Malgré la fragilité des alliances sur lesquelles peut compter la Russie, Poutine ne semble pas se laisser dissuader. Outre son discours fanfaron autour de l’arsenal nucléaire russe, son gouvernement a récemment annoncé la mise en œuvre d’une nouvelle doctrine navale– sorte d’écho inquiétant à la défiance navale formulée par l’Allemagne à l’endroit des Britanniques peu avant la Première Guerre mondiale. Si aucun apaisement diplomatique ne s’opère, Poutine pourrait fort bien continuer d’arpenter ce chemin, rapprochant toujours un peu plus son pays d’un conflit ouvert avec l’OTAN.

Même si un tel conflit ne survient pas, les efforts de Poutine visant à restaurer une influence russe au sein de l’Eurasie (par tous les moyens nécessaires, si l’on en croit ses agissements en Ukraine) sont voués à provoquer d’importants dégâts. Il n’est ainsi pas surprenant que le Kazakhstan et la Biélorussie s’inquiètent autant de l’expansionnisme russe que l’Ukraine.

Poutine a rejeté le concept de «partenariat de modernisation» avec l’Occident qu’avait promu l’ancien président Dmitri Medvedev. Or, la mise en place d’une union douanière eurasienne entre pays ex-soviétiques et autres Etats ne constitue pas non plus une voie de modernisation pour la Russie, de même qu’elle ne peut permettre de faire de l’industrie de la défense un moteur d’industrialisation. En un mot, il s’agit là d’un modèle soviétique, qui a échoué autrefois et qui ne pourrait qu’échouer à nouveau.

Si Poutine entend sérieusement diversifier et renforcer une économie russe fondée sur les matières premières, et ainsi améliorer l’existence de son peuple, il lui faut attirer technologies de pointe et investissements étrangers, notamment en provenance de l’Occident. Il serait pour cela nécessaire d’entreprendre des réformes démocratiques, une régénération institutionnelle, ainsi que le renouvellement des liens diplomatiques avec les pays occidentaux.

La Russie n’est pas en capacité ­de proposer un système internatio­nal véritablement alternatif. Pour au­tant, si Poutine continue de promouvoir une politique étrangère obsolète et antagoniste, il pourrait bien influencer défavorablement les politiques étrangères existantes. A l’heure où le monde se heurte à de si nombreux défis déstabilisants, il s’agirait d’une évolution regrettable pour chacun.

L’Occident doit s’efforcer d’amadouer la Russie autour de questions stratégiques majeures, telles que l’expansion de l’OTAN. Il est toutefois peu probable qu’une telle démarche amène Poutine à surmonter un sentiment qui explique la fragilité de la Russie, et qui réside dans son incapacité ou son refus à considérer l’Union soviétique comme ce qu’elle est, à savoir un échec.

Traduit de l’anglais par Martin Morel © Project Syndicate

Le «monstre» Poutine hante la lucarne ce mardi soir, lui qui qui occupe déjà les écrans russes, puisque environ 90% des citoyens, là-bas, regardent la télévision nationale. Une aubaine pour le camarade Vladimir Vladimirovitch, qui peut ainsi cimenter l’adhésion du peuple à sa politique. Notamment par le biais d’une émission dite d’actualité, mais faite d’interviews racoleuses, de reportages simplistes et de séquences dédiées au culte de la personnalité de Poutine. Car En Poutine nous croyons, n’est-ce pas? C’est le titre du deuxième doc de cette soirée consacrée au maître du Kremlin, qui s’annonce passionnante sur la chaîne Arte, ce mardi 8 dès 20h55. (O. P.)

Des efforts d’apaisement auprès de la Russie sont inévitables, malgré la difficulté que cela représente