Ma semaine suisse

Revoter?

Revoter, revoter. Retourner aux urnes pour effacer, vite, les effets négatifs, immédiats et futurs, de la décision de réguler l’immigration. Le message des perdants du 9 février tourne en boucle. Revoter un jour, sans doute. Mais tout de suite? Cela ne tient pas la route.

Deux principaux arguments sont avancés. Premièrement, le résultat est trop étriqué pour donner une base solide à une nouvelle politique; sur un sujet si important, une majorité qualifiée est une exigence raisonnable. Bien, mais aucune disposition ne prévoit le mécanisme du deuxième vote. Changer les règles a posteriori n’est pas démocratique. La réflexion vaut pour l’avenir des droits populaires: veut-on introduire l’obstacle de la majorité qualifiée, notamment pour les votes touchant à la politique étrangère? C’est un vieux débat. Il faudrait modifier la Constitution; un chantier de plusieurs années, avec une perspective de réussite limitée.

Deuxième argument: le peuple ne savait pas que la politique extérieure de la Suisse serait affectée par l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse». Sans doute, mais voter sur une initiative dans l’ignorance des conséquences n’est-il pas consubstantiel à la démocratie directe? Dans ce cas précis, le peuple «ignorant» se bouchait les oreilles pour ne pas entendre les arguments «raisonnables». Relisons la brochure rouge du Conseil fédéral aux citoyens: la recommandation de dire «non» précisément pour ne pas mettre en péril les accords bilatéraux, «ce qui serait fortement préjudiciable à la Suisse et à son économie», y figure noir sur blanc. Exprimant un profond malaise, le peuple suisse a osé braver le Conseil fédéral, le parlement, l’establishment économique. Ne pas le reconnaître, c’est mal engager la suite.

Alors, revoter? Le torrent de réactions dans ce sens crée une illusion trompeuse. La Suisse n’est pas l’Irlande qui revota sur le Traité de Lisbonne amendé une année après l’avoir refusé une première fois. Le cadre institutionnel suisse est contraignant, il faut faire avec.

Lancer une initiative pour garantir la libre circulation des personnes est une option. Des jeunes se mobilisent pour ce but, bravo à eux! Toutefois, cette voie ouvre un long processus: au minimum trois ans, plutôt quatre ou cinq. La démarche aura surtout pour vertu d’exercer une pression utile.

Auparavant, il sera toujours possible de lancer et gagner le référendum contre la future loi d’application de l’initiative de l’UDC. S’agissant de revoter, c’est sans doute la priorité. Une majorité pourrait refuser le dispositif concrétisant le retour aux contingents de travailleurs étrangers. Un vote populaire en annulerait un autre. La norme constitutionnelle du 9 février resterait orpheline, donc inapplicable. Juridiquement, la situation resterait inconfortable. Mais avec un signal tangible de l’attachement des Suisses à la libre circulation, le Conseil fédéral serait relégitimé pour poser la question de l’extension de la libre circulation à la Croatie. Cette votation-là aurait valeur de plébiscite pour ou contre la voie bilatérale. En cas de oui, les mesures discriminatoires annoncées par l’UE en représailles au vote du 9 février tomberaient.

La pause qui s’ouvre n’est pas de trop pour préparer les prochaines échéances. Le jour venu, il faudra convaincre quelques milliers de Suisses de changer de camp. Ce ne sera pas facile. Des menaces intérieures et extérieures ne suffiront pas; au contraire, elles prépareront la prochaine déroute.

Le mieux serait que le Conseil fédéral et le parlement prennent au sérieux le malaise exprimé par une majorité de Suisses; qu’ils explorent, de bonne foi, le chemin tracé par l’initiative de l’UDC; s’entendent sur un dispositif de régulation de l’immigration qui déroge le moins possible aux objectifs de l’accord sur la libre circulation des personnes; puis tentent de convaincre l’Union de renégocier cet accord en sachant qu’il faudra en payer un prix. La marge de manœuvre est étroite, le résultat incertain. Mais négliger ce travail ne fera que grossir les rangs du pays du «non».

L’issue des élections européennes de mai sera cruciale pour la disponibilité de l’Union à discuter. L’UE, sous la pression d’une droite nationaliste renforcée au parlement, voudra-t-elle envisager, pour elle-même, de resserrer sa politique migratoire? Au contraire, le pilier de la libre circulation des personnes restera-t-il intangible? Nul ne le sait. On en est là.

Convaincre quelques milliers de Suisses de changer de camp ne sera pas tâche facile

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