Publicité

L’été 68: objection de conscience contre le Vietnam

En juillet 1968, Jean Dumur, envoyé spécial de la «Gazette de Lausanne», remonte aux sources de la contestation estudiantine en Californie en rencontrant Larry Bensky, un de ses grands inspirateurs

Provocateur, Laurence «Larry» Bensky en 1970, lors d'une conférence sur les médias alternatifs dans le Vermont. — © Robert Altman/Michael Ochs Archives/Getty Images
Provocateur, Laurence «Larry» Bensky en 1970, lors d'une conférence sur les médias alternatifs dans le Vermont. — © Robert Altman/Michael Ochs Archives/Getty Images

Du lundi au vendredi en juillet-août, «Le Temps» plonge dans ses archives historiques pour vous faire revivre l'été de l'année 1968. Deux mois de contestation tous azimuts dont on fête le jubilé cette année, avec le «Journal de Genève» et la «Gazette de Lausanne».

Episodes précédents:

«C’est le refus des règles du jeu. C’est le rejet de l’échelle des valeurs d’une société jusque-là fière de son évolution.» Mais qui parle ainsi à la une de la Gazette de Lausanne du 13 juillet 1968? Larry Bensky, journaliste et critique littéraire new-yorkais aujourd’hui âgé de plus de 80 ans qui a fait une belle carrière dans les médias les plus prestigieux des Etats-Unis. Jean Dumur, l’envoyé spécial de la Gazette, parle, lui, de «Laurence» Bensky, «cheveux longs des protestataires, lunettes rondes des intellectuels, Gauloises des jeunes Américains nourris de culture française». Quelle époque que celle où cet homme dirige la revue Ramparts à San Francisco, «au rez-de-chaussée d’un immeuble pisseux»!

© LeTempsArchives.ch
© LeTempsArchives.ch

Ce magazine, «d’inspiration catholique à son origine», était devenu, en cette fin agitée des années 1960, «le porte-parole de la jeunesse contestante, fort d’une célébrité quasi mondiale grâce à ses révélations sur les activités» de la CIA dans les cercles d’étudiants. D’un point de vue psychologique, Dumur parle de «complexe d’insoumission» et en fixe l’origine en 1964, lorsque les autorités de Californie avaient commencé à «limiter les droits politiques des étudiants sur le campus de Berkeley». Une mesure qui «provoqua une violente réaction de la part de différents groupes politiques étudiants qui constituèrent le Free Speech Movement». Ce type de manifestation était totalement inédit pour l’époque. Et très moderne dans son fonctionnement: sans hiérarchie, avec des leaders tout à fait informels.

Le poids de la guerre

La cause fondamentale de ces nouvelles exigences en matière de liberté d’expression politique, c’était la guerre du Vietnam. «Tel un catalyseur», elle les a précipitées. On savait alors «de quel poids le conflit [pesait] sur les finances fédérales», mais on savait moins «de quel poids il [pesait] sur un nombre grandissant de consciences», depuis plus de dix ans qu’il durait. On parle alors précisément d’«objection de conscience».

Comment cette dernière se manifeste-t-elle? La Gazette précise: «Certains refusent de remplir toute obligation militaire, encourant des peines qui vont jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. D’autres – ils sont plus nombreux – recourent à des subterfuges, se cachant aux Etats-Unis même sous de faux noms et à la rigueur de fausses barbes, fuyant en Europe où ils obtiennent assez facilement des permis de séjour pour étudiants, se réfugiant au Canada.» Pour échapper au rôle de chair à canon.

Marcuse, Leary…

Mais Jean Dumur remarque aussi ceci, à la lumière de ce que lui dit Bensky: «la contestation» des jeunes «a maintenant débordé le cadre des infimes minorités». Elle a «des maîtres à penser, des prophètes»: «L’Europe connaît les noms d’Herbert Marcuse», le philosophe radical «qui enseigna précisément à l’Université de Berkeley, et de Timothy Leary, l’apôtre d’un usage raisonné des drogues». Autrement dit: avocat du LSD. Mais elle en ignore beaucoup d’autres, que l’histoire a d’ailleurs aussi oubliés.

Quoi qu’il en soit, conclut le quotidien lausannois, «à défaut d’une idéologie claire, dans leurs attaques les jeunes Américains font preuve de beaucoup de fougue. […] Les polémistes visent l’establishment à tous les niveaux, récusant l’adhésion puritaine à un système que les aînés voulaient béni par Dieu et auquel chacun se conformait avec la conviction d’agir pour le Bien contre le Mal.» Cette vision manichéenne de la société avait vécu.