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L’industrie sucrière américaine a menti sur le risque cardio-vasculaire

Des documents de la fin des années 1960 montrent aujourd’hui comment un géant de l’agroalimentaire a faussé, des années durant aux Etats-Unis, les règles en matière de nutrition en prétendant que les risques de maladies cardio-vasculaires dépendaient de la seule consommation de graisses animales et non du sucre

Le plus grand producteur mondial de boissons sucrées a fourni des millions de dollars dans le financement d’études qui ont cherché à masquer le lien entre les boissons sucrées et l’obésité. — © Marcos Calvo Mesa/123RF
Le plus grand producteur mondial de boissons sucrées a fourni des millions de dollars dans le financement d’études qui ont cherché à masquer le lien entre les boissons sucrées et l’obésité. — © Marcos Calvo Mesa/123RF

«Un exemple dégoûtant de plus du pouvoir du néolibéralisme capitaliste sur les gouvernements et les populations»: voilà l’un des plus de 700 commentaires à un article du New York Times (NYT), repris depuis par l’ensemble de la presse généraliste et spécialisée anglo-saxonne. Il fait état, lundi 12 septembre, d’un scandale proche de ceux liés aux marchands de tabac. «L’industrie sucrière, dans les années 1960, a payé des scientifiques pour nier le lien entre le sucre et les maladies cardio-vasculaires et incriminer, à sa place», les acides gras saturés – notamment présents dans les graisses animales – «comme le montrent des documents historiques récemment dévoilés».

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Ces documents internes de l’industrie sucrière, découverts par un chercheur de l’Université de Californie à San Francisco (UCSF) et publiés lundi dans la revue JAMA Internal Medicine sous le titre «Sugar Industry and Coronary Heart Disease Research», «suggèrent que cinq décennies de recherches sur le rôle de la nutrition dans les maladies cardiaques, y compris un grand nombre de recommandations alimentaires encore valables aujourd’hui, peuvent avoir été en grande partie «fabriquées» par l’industrie sucrière. «Ils ont réussi à fausser la discussion pendant très longtemps», selon Stanton Glantz, professeur de médecine à l’UCSF et l’un des auteurs de l’article», d’ailleurs aussi spécialiste des recherches médicales sur le tabac, en ne tenant compte que des données qui les arrangeaient.

Que montrent-ils, alors, ces documents? Qu'«un groupe commercial, la Sugar Research Foundation, connue aujourd’hui comme la Sugar Association (SA), avait versé à trois scientifiques de Harvard l’équivalent d’environ 50 000 dollars d’aujourd’hui pour publier une synthèse des recherches sur le sucre, les graisses et les maladies cardiaques en 1967. Les études utilisées dans l’examen ont été triées sur le volet par la SA, et l’article en résultant publié dans le prestigieux New England Journal of Medicine (NEJM). Celui-ci minimisait clairement le lien entre le sucre et les risques cardio-vasculaires, tout en rejetant la faute sur les graisses saturées.» Sur son site, la SA reconnaît d’ailleurs aujourd’hui que «la Sugar Research Foundation aurait dû être plus transparente» à l’époque.

Pire: si ce trafic d’influence remonte à près d’un demi-siècle, des documents plus récents «montrent que l’industrie agroalimentaire» a continué d’influer sur les recherches en matière de nutrition. «L’an dernier, un autre article du NYT avait révélé que Coca-Cola, le plus grand producteur mondial de boissons sucrées, avait fourni des millions de dollars dans le financement d’études qui avaient cherché à masquer le lien entre les boissons sucrées et l’obésité.» Laquelle représente, on le sait, un important facteur de risque cardio-vasculaire.

© JAMA Internal Medicine
© JAMA Internal Medicine

Les acteurs de cette opération de «blanchiment sucrier» ne sont bien sûr plus là pour s’expliquer, ni les médecins ni les industriels. Mais la SA dit que «l’étude de 1967 a été publiée à une époque où les revues médicales n’exigeaient généralement pas des chercheurs qu’ils divulguent leurs sources de financement». Cela n’a été le cas qu’à partir de 1984 pour le NEJM. Et l’on a observé le même biais concernant le rôle du sucre dans la formation des caries dentaires, selon Sciences et Avenir.

Ces révélations sont d’autant plus importantes que «le débat sur les méfaits relatifs de sucre et de graisses saturées se poursuit aujourd’hui, dit le Dr Glantz. Pendant de nombreuses décennies, les responsables de la santé ont encouragé les Américains à réduire leur consommation de matières grasses, ce qui a conduit beaucoup de gens à consommer des aliments à faible teneur en graisses mais en revanche hautement sucrés, alors que beaucoup d’experts incriminent maintenant les sucres dans les problèmes liés à l’obésité», qui sont importants aux Etats-Unis. Encore elle.

C’était «épouvantable», dit l’éditorial

La réalité, selon les critères de l’OMS, est que les graisses saturées aussi bien que les «mauvais» sucres sont des facteurs de risques tout aussi importants les uns que les autres. Il était donc «épouvantable» de les disculper, soutient l’éditorial du JAMA Internal Medicine. Et cela montre une fois de plus combien les conflits d’intérêts doivent jouer en faveur d’un financement public des recherches scientifiques et non industriel, pierre d’achoppement éthique dont on connaît la complexité depuis les années 1960.

Sans entrer dans les détails de cette vaste mystification, très organisée, il faut donc confirmer aujourd’hui que «des décennies durant, l’industrie sucrière a réussi à nous tromper en vantant les prétendus mérites de ses produits», selon un film documentaire notamment diffusé sur la chaîne Arte, «Le Sucre, le doux mensonge vérité». Qui démontre que cette industrie-là a pour longue tradition de ne pas piper mot «sur les risques sanitaires liés à une consommation excessive», que soulevait aussi récemment le magazine Bilan:

Ces mensonges, dit Arte, ont donc «un goût amer pour de nombreux consommateurs» puisqu’ils nient les risques de surpoids, de diabète et de maladies cardio-vasculaires. Sachant que le sucre augmente la sensation de plaisir alimentaire, «depuis les années 1970, l’industrie agroalimentaire a œuvré pour augmenter les doses […] dans nos assiettes», Du coup, les maladies en résultant «se répandent à travers le monde, notamment chez les enfants». L’enquête menée dans ce film «dévoile les mensonges de l’industrie sucrière et les recours possibles pour enrayer l’épidémie».

«Tendance lourde et excès alarmants»

Rien de neuf? Non, mais une preuve de plus, si l’on veut. Car c’est également «en épluchant» des archives internes, celles de «la Great Western Sugar Company, l’un des fleurons de l’industrie sucrière américaine, que la dentiste Cristin Kearns a fait une découverte de taille, exposée fin 2012 dans le magazine américain Mother Jones: dans les années 1970, l’industrie mondiale du sucre a mis au point une stratégie délibérée de conquête, visant à inclure toujours plus de saccharose dans l’alimentation quotidienne mondiale, et à en dissimuler sciemment les risques sanitaires», lit-on dans LaTribune.fr.

Selon un blog antillais qui évoque également le film documentaire précité, «l’industrie sucrière continue de nier l’évidence et sème la confusion à travers des stratégies de communication où le scepticisme serait financé à coup de millions afin de brouiller le débat». Mais bien sûr, comme toujours, on s’attaque à un «business très lucratif». Conclusion: le sucre, c’est «tendance lourde et excès alarmants».