«Affaire» Tariq Ramadan: «loi du silence» au DIP genevois
Revue de presse
La «Tribune de Genève» prétend que des faits troubles concernant le controversé professeur avaient bel et bien été dénoncés à la direction du Collège de Saussure. Mais selon «Le Courrier», l’«information» est «apparemment restée bloquée quelque part entre la direction de l’établissement et le Conseil d’Etat…»

Alors que l’islamologue suisse controversé Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans, accusé de viol en France et mis en cause en Suisse par d'anciennes élèves, s’est mis en congé en accord avec l’Université d’Oxford, en Grande-Bretagne, où il enseigne, de nouvelles révélations de la Tribune de Genève (TdG) viennent encore obscurcir un peu davantage ce délicat dossier.
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La direction du Collège de Saussure «avait été alertée» de «l’attitude de Tariq Ramadan», écrit ce mercredi dans la Tribune de Genève la journaliste Sophie Roselli, qui poursuit son enquête sur ce sujet occupant les médias depuis presque trois semaines. Selon elle, «de nouveaux témoignages révèlent que l’encadrement scolaire avait eu connaissance d’un comportement inapproprié […] envers des élèves, lorsqu’il enseignait» dans cet établissement au début des années 1990.
Le quotidien genevois parle ici d’«une information très précise» qui avait été communiquée par un élève à «une doyenne» du collège. Les faits sont ensuite «bel et bien remontés jusqu’au directeur […]. Celui-ci, âgé actuellement de 75 ans, confirme», mais il semble que ses souvenirs exacts soient brouillés. La victime dont il avait entendu parler, par ailleurs majeure, n'avait rien dénoncé elle-même et l'on s'attachait, dit-il, plus à surveiller l'éventuelle islamisation d'un professeur. Cela permet sans doute d'expliquer le silence ambiant, si l'on veut analyser les choses avec le prisme de l'époque et non seulement avec celui d'aujourd'hui. Une chose semble sûre, cependant: «Cette histoire n’a jamais été portée à la connaissance du Département de l’instruction publique.»
Pourquoi l’autorité n’a-t-elle pas été informée?
La TdG a aussi interrogé l’ancienne conseillère d’Etat Martine Brunschwig Graf, en poste entre 1993 et 2003, qui «réagit fermement»: «Normalement, la victime aurait dû être contactée et entendue par la direction mise au courant, même à cette époque. Et le département aurait bien sûr dû être informé.» Face à tant de témoignages, elle «regrette de constater qu’autant de personnes se déclarent aujourd’hui avoir été au courant sans juger bon d’en informer l’autorité».
C’est d’ailleurs bien ce que réclamait ce lundi l’éditorial du Courrier de Genève, «la fin de la loi du silence». Car il y a un obstacle, et de taille, à la transparence: «La justice pénale ne se penchera jamais sur les faits, aujourd’hui prescrits», mais «le silence ne sera pas une réponse acceptable. Notamment de la part des instances de l’Instruction publique», qui auraient tout de même «été averties de plusieurs cas de harcèlement». Alors quoi? L’«information» est «apparemment restée bloquée quelque part entre la direction de l’établissement de Saussure et le Conseil d’Etat…»
«Un secret de polichinelle»
D’autres terribles soupçons demeurent, pour le quotidien genevois: «L’affaire a-t-elle été enterrée? minimisée? classée? Une enquête sérieuse a-t-elle été menée? Quelles en étaient les conclusions?» Dans un autre de ses articles, il juge que «l’ancienne élève» affirmant avoir été victime de son professeur «questionne la responsabilité du Département de l’instruction publique (DIP)». Son histoire, dit-elle, était «un secret de polichinelle». A son sens, le «rôle du DIP était de réagir, de sanctionner afin de mettre fin à ces agissements».
Quant au DIP, précisément, il explique au final «ne pouvoir ni infirmer ni confirmer les faits, puisqu’une administration peut enquêter uniquement au sujet de collaborateurs en fonction et sur un plan strictement administratif». Il ajoute qu’il ne peut «ouvrir une enquête, car la dimension pénale du dossier est entièrement du ressort de la justice. Le Ministère public s’en chargera-t-il?» Lundi, «il n’a pas pu apporter de réponse à cette question».
Les «Musulmans de France» sont «emmerdés»
Le Figaro a également publié ce mardi un long article récapitulant tous les épisodes de cette «affaire» – très utile pour les retardataires! Lui aussi parle de «silence», car «depuis le début des révélations, les différentes structures représentatives de l’islam de France restent silencieuses. Parmi elles, on compte l’influente Union des organisations islamiques de France (UOIF), récemment renommée «Musulmans de France». Cette organisation proche des Frères musulmans s’affichait très régulièrement aux côtés de l’islamologue. Mais elle reste muette sur l’affaire. «Ils sont emmerdés», commente auprès de l’AFP sous le couvert de l’anonymat un ancien responsable de l’UOIF, qui ne sait «pas trop comment ils vont se dépatouiller de l’avoir mis sur un piédestal.»
Mais «d’autres personnalités médiatiques se retrouvent également en porte-à-faux. Accusé de sous-traiter l’affaire après s’être affiché aux côtés de l’intellectuel controversé, le fondateur de Mediapart Edwy Plenel est accusé par Charlie Hebdo d’une forme de complicité. «On ne savait pas», fait dire l’hebdomadaire satirique au directeur» du site Mediapart.fr, qui se défend bec et ongles. «En couverture, la moustache de Plenel lui cache successivement la bouche, les oreilles et les yeux.» Le journaliste Fabrice Arfi (de Mediapart) dénonce une une «abjecte»:
Soutien absolu à Charlie quand ils sont menacés ; les combattre avec les mots, les idées et les faits face à une Une (demain) aussi abjecte. pic.twitter.com/gml9uj9guJ
— Fabrice Arfi (@fabricearfi) 7 novembre 2017
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